Jeunesse et campagne chinoise

Jeunesse. Retour au pays. Wang Bing, France, Luxembourg, Pays-Bas, 2024, 154 minutes.

Pendant plus de 5 ans, Wang Bing a filmé les ateliers de confection textile de la ville de Zhili. Ateliers où viennent travailler de jeunes chinois, garçons et filles. qui ont souvent guère plus de 20 ans et qui ont quitté la campagne où vivent leurs parents pour venir travailler dans ces ateliers, avec la perspective de gagner un peu plus d’argent que dans le travail de la terre. Il en a tiré trois films, ou plutôt trois volets du même film, Jeunesse, intitulés successivement Le Printemps, Les Tourments et enfin Retour au pays. Une grande saga.

Une jeunesse chinoise qui rêve de profiter de la nouvelle économie capitaliste. Une jeunesse pleine d’illusions, sans doute, une jeunesse travailleuse et courageuse pour affronter des conditions de travail peu confortables dans ces ateliers dominés par le bruit incessant des machines à coudre, souvent plutôt archaïque. Un travail répétitif aux cadences effrénées. Un travail payer à la pièce, c’est-à-dire que la rémunération ne peut être satisfaisante que si l’on passe tout son temps à coudre. Sans jamais se tromper.

On ne sort donc guère des ateliers, ou uniquement pour suivre quelques-uns de ces jeunes dans leur dortoir ou parfois dans les rues de la ville à la recherche d’un bar perdu au milieu des centaines d’ateliers du même type qui ont poussé là comme des champignons. Une vie très peu enthousiasmante. Mais ils ont 20 ans. Et ils ont encore pas mal de dynamisme et de désir de vivre. Et surtout, ils trouvent dans l’amitié et les relations amoureuses la force de traverser les épreuves. Et d’envisager un avenir plus serein. En tout point plus satisfaisant.

La tradition chinoise veut que les familles se réunissent une fois dans l’année pour fêter ensemble le Nouvel an. Le monde du textile à Zhili n’échappe pas à cela. Et les jeunes ouvriers vont quitter leur atelier et rentrer chez eux pour faire la fête.

Dans ce troisième épisode, Wang Bing va donc filmer les différentes étapes de ce retour. En commençant par les préparatifs. Il faut rassembler le plus possible d’effets personnels transportables. Puis le voyage lui-même. Presque une épopée, souvent dangereuse. Sur les petites routes de montagne, parfois même pas goudronnée, et où il est difficile de se croiser. Décidément, l’arrière-pays chinois , les provinces reculées comme le Yunnan n’ont pas vraiment profité du boom économique qui a changé le visage des grandes villes. La campagne montagneuse reste dans un état de dénuement et de pauvreté presque conforme à la vision traditionnelle de la Chine rurale. Ce que confirme la vue des intérieurs des maisons. Où on peut se demander s’il y a même l’eau courante. En tout cas, Wang Bing ne cherche nullement à enjoliver la réalité et les conditions de vie qui semblent d’une autre époque.

Quoi qu’il en soit, la période de Nouvel An est ici, comme partout en Chine, l’occasion de grandes fêtes réunissant toute la Communauté. Et ceci d’autant plus que certains jeunes en profitent pour se marier. Événement capital pour les familles.

Nous assistons donc à un mariage transitionnel, où tout le village est présent et participe à la joie, et partage le bonheur du couple. Une occasion pour le cinéaste de nous plonger dans les traditions venues de la nuit des temps. P par exemple, le marié doit porter sur son dos la future femme pour entrer dans le village et il est escorté par une foule d’enfants mais aussi de villageois qui doivent revivre le temps de leur jeunesse. Une séquence haut en couleur. Où domine le bruit des pétards, comme les fêtes du Nouvel an à proprement parler.

Les 3 volets de Jeunesse nous permettent de préciser ce qu’est la méthode de Wang Bing. Son film à l’apparence d’un film Choral. Il passe d’un atelier à l’autre, d’un groupe de travailleurs à l’autre, sans autre transition que le nom, l’âge et la province d’origine inscrite sur l’écran. Mais est-ce bien un film Choral ?

Il y a bien des personnages récurrents jouant le rôle de personnage principaux, mais ont-ils vraiment un rôle principal à jouer ? En fait, ils disparaissent vite dans le nombre de travailleurs des ateliers. Ils se fondent dans le groupe où tous se ressemblent. Ils ont les mêmes conditions de travail, les mêmes aspirations, et les mêmes idées, sans doute. Lors des repas ou dans les dortoirs, ils sont rarement seuls. Plus qu’une suite de portraits individuels, Wang Bing trace plutôt un portrait collectif de la jeunesse chinoise. Du moins de cette jeunesse issue de la campagne et venu travailler en ville. Mais ils gardent tous un fort attachement à leur province d’origine et à leur famille, comme le montre ce Retour au pays.

Du grand cinéma, indispensable.

Jeunesse. Le Printemps. https://dicodoc.blog/2024/01/14/jeunesse-chinoise/

Jeunesse. Les tourments . https://dicodoc.blog/2025/04/06/jeunes-travailleurs-en-chine/

Avatar de jean pierre Carrier

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

Laisser un commentaire