Hippocrate aux enfers de Philippe Devilliers, 2017, 80 minutes.
« C’était là.
C’est là que tant de cobayes humains ont subi les sévices de ceux qui étaient appelés « docteurs », des docteurs que mes deux grands-pères, disparus dans ce sinistre camp, ont peut-être croisés.
Je suis à Auschwitz-Birkenau. »
Tel est le début du livre dont l’auteur, Michel Cymes, a lui-même tiré un film. Un film très personnel donc. Un film qui tente de répondre à une interrogation insistante pour un médecin. Quelle signification peut avoir, ou a encore, le serment d’Hippocrate, ce texte que tout médecin a prononcé le jour de soutenance de sa thèse de doctorat, un texte qui définit l’éthique propre à cette profession qui est d’abord un service public, au service du public, c’est-à-dire au service des hommes.
Comment a –t-il pu se faire, dans une période historique encore très proche de nous, comment a-t-il pu se faire que des médecins renient à ce point le contenu même de ce serment et en venir à exercer la médecine non plus pour les hommes, mais contre les hommes. Comment ont-ils pu non plus essayer de soulager la souffrance mais l’exercer eux-mêmes systématiquement. Au lieu de sauver des vies comment ont-ils pu en venir à répandre la mort ?
La réponse de Michel Cymes est claire. Ces hommes (peut-on encore les qualifier de médecins ?) étaient des nazis. Ils appartenaient au parti nazi. Ils adhéraient entièrement à l’idéologie nazie. Une idéologie qui prônait la supériorité d’une « race », les ariens, et qui voulait en faire une race supérieure c’est-à-dire en préserver par tous les moyens la pureté. Les juifs, mais aussi les malades mentaux et les handicapés, deviennent alors les cobayes tous désignés pour mettre en œuvre des « expérimentations » correspondant à cette idéologie. Peu importe alors la souffrance, la douleur et la mort. Des hommes qui deviennent des bourreaux sous couvert de science. Essayer de comprendre cela est une démarche personnelle. Le dénoncer on ne peut plus explicitement est une démarche politique. Devant la montée des partis d’extrême droite en Europe, il n’est pas inutile de rappeler qu’il y a là une tâche historique dont tous les médecins aujourd’hui devraient assumer la honte.
Film personnel donc. Nous suivons Michel Cymes sur les lieux mêmes où furent commises ces atrocités. Dans les camps, dans les bâtiments « spécialisés », où l’on retrouve les traces bien visibles de l’exercice de cette prétendue médecine. Et comme la médecine est pour Michel Cymes un travail des mains, il y a dans le film des mains, celles en particulier de musiciens, en gros plans, tenant un archet ou frappant les touches d’un piano. Une musique qui, dans le film, nous permet de supporter l’évocation de cet extrême de la barbarie nazie.
Mais Hippocrate aux enfers est aussi un film historique. Il constitue un dossier précis de cette « médecine nazie », à partir d’images d’archives, à partir d’entretiens avec des historiens, mais aussi en donnant la parole aux survivants, ceux qui portent encore dans leur corps les traces des sévices subis. Le film nous explique donc en qui consistaient des expériences, sans rien en cacher, en montrant par le détail comment elles étaient réalisées. Puis il décrit le déroulement du deuxième procès de Nuremberg qui, après celui consacré aux dignitaires du parti, accusait les médecins des camps de crime de guerre et de crime contre l’humanité. Tous plaidaient non coupable. Sept ont été condamnés à mort.
Un film qui contribue fortement à montrer une des multiples facettes de la barbarie nazie.
Festival International du Film d’Histoire, Pessac, 2017.