B COMME BORINAGE, 2 – 1999

Les Enfants du Borinage, Patric Jean, Belgique, 1999, 54 mn

«  Cher Monsieur Storck… », Patric Jean écrit une lettre au plus connu des documentaristes belges, Henri Storck, auteur en 1933 en collaboration avec Joris Ivens, d’un film qui fera date et peut encore aujourd’hui être considéré comme un modèle de film engagé ayant une visée militante, Borinage. Ce film dénonçait la misère de cette région minière par la puissance de ses images et analysait ses causes en référence au marxisme. Plus de 60 ans après, un jeune cinéaste, natif du Borinage, entreprend lui-aussi de filmer sa région. Qu’est-ce qui a changé ? Le constat que dresse le film sera tout aussi éloquent. Et si le cinéaste de la fin du xxe siècle ne se réfère plus directement aux théories communistes, sa dénonciation du système capitaliste est tout aussi percutante. Il y ajoute même une prise de distance sans équivoque avec ceux qui, se réclamant du socialisme, n’ont en rien résolu le problème de la pauvreté, comme si leur action (le Borinage a connu  100 ans de majorité socialiste) n’avait consisté qu’à faire accepter la misère par ceux qui la vivent.

Le Borinage a-t-il changé par rapport à l’époque du premier film ? En apparence oui. L’église est achevée et les charbonnages sont fermés. Mais, fondamentalement, la misère est toujours là. Pire qu’avant même, parce qu’à la fin du XX° siècle, elle est intolérable, précisément parce qu’elle pourrait ne plus exister. Seulement, elle se cache. Les plus démunis fuient la caméra, refusent de témoigner. Pour eux, ça ne sert à rien. « C’est ce silence que je veux comprendre », dit le cinéaste. Le silence des pauvres, résignés de leur sort ou qui en ont honte. Comme cette femme, veuve depuis peu et qui vit dans un taudis sans chauffage et sans carreaux aux fenêtres. Elle refuse obstinément de parler. C’est Emile, un voisin ancien mineur, qui parle à sa place. Il a des formules qu’on pourrait très bien entendre dans un commentaire de Chris Marker. « Celui qui n’a pas faim ne peut pas comprendre celui qui a faim ». Rien n’a changé. « Le riche reste riche, le pauvre reste pauvre ». Patric Jean filmera dans un long travelling toutes ces nouvelles villas qui ont été construites pour les riches. Il filmera aussi l’intérieur du taudis de la femme aux quatre enfants qui a été expulsée pour loyer impayé. Des images qui se passent de commentaire.

enfants borinage 3

Patric Jean rencontre quelques-uns de ces miséreux dépourvus de tout, ne sachant ni lire ni écrire et n’ayant aucune perspective d’avenir. Un couple fait depuis quatre ans une demande de logement social. Chaque année ils doivent remplir les mêmes papiers. Un homme et son fils récupèrent des métaux dans une décharge, sans prononcer un mot. Le film devient lui-même muet, comme celui de Storck et Ivens, dont Jean insère quelques-unes des séquences en noir et blanc dans son propre film. S’il n’y avait pas la couleur, les images de 1999 pourraient très bien être prises pour des images de 1933.

N’y a-t-il plus aucune volonté de révolte et de revendication dans le Borinage de 1999 ? Dans le film, les seuls qui essaient encore quelque chose, ce sont les enseignants d’une école accueillant les enfants les plus défavorisés. L’éducation peut-elle avoir une quelconque efficacité, alors que les adolescents ne suivent pas les cours puisqu’ils sont obligés d’aller travailler pour survivre ?

La rencontre avec les responsables politiques locaux est un grand moment de cinéma. L’un d’eux regrette de ne pas voir sur les visages fermés des jeunes Borins le sourire qu’on trouve toujours sur les visages dans les bidonvilles en Amérique latine. Et le dernier à s’exprimer affirme qu’il n’y a plus de pauvres en Belgique. Le cinéaste le remercie simplement d’avoir accepté de parler devant la caméra.

Le film se termine par cette tradition qui consiste à allumer un feu à la fin d’une kermesse. Une manifestation qui n’a pas l’air très festive. Le plan est muet. «  Le bruit immense du silence des pauvres ».

 

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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