L’Attente, Sergueï Loznitsa, 2000, 25 minutes
Portrait, Sergueï Loznitsa, 2002, 28 minutes.
Loznitsa est le cinéaste de l’immobilité.
Dans deux de ses courts-métrages documentaires, au moins, il construit des cadres d’une fixité absolue. Aucun mouvement de caméra, aucun mouvement devant la caméra. Immobilité sans avant ni après. La durée des plans est fondamentalement indéterminée, c’est-à-dire qu’ils pourraient durer encore et encore. Il n’y a aucune raison de passer d’un plan à l’autre. Sauf qu’il s’agit bien d’une immobilité cinématographique et non d’une simple succession de vues photographiques.
Dans L’Attente, Loznitsa trouve dans le sommeil l’incarnation de cette immobilité. Un sommeil profond, sans rêve, sans soubresauts cauchemardesques. Un sommeil qui n’est que réparation d’une fatigue accumulée. Un sommeil qui n’est pas forcément le signe de la nuit.
Nous sommes dans une salle d’attente d’une improbable gare. Tous les voyageurs dorment. La caméra s’arrête sur chacun d’eux. Montrant leurs poses endormies. Qui assis raide et droit ; qui avachi sur son siège ; qui la tête sur les genoux. Aucun ne bouge. Ou bien le basculement des têtes se fait au ralenti. L’image est grise, presque sans nuance. Comme auréolée de brouillard.
Ce sommeil filmé est pure temporalité. Mais un temps sans déroulement, sans succession, sans renvoi en arrière ni projection dans l’avenir. Un temps qui ne passe pas. S’il s’agit de voyageur, ils finiront bien par partir. Mais ce déplacement reste purement hypothétique. Le train, le voyage, est totalement absent, un hors-champ qui n’existe pas.
Une temporalité qui est celle de l’éternité ; le sommeil éternel.
Avec Portrait, les choses sont plus compliquées.
Il s’agit bien de filmer des poses immobiles, des hommes et des femmes, debout ou assis, seuls ou à deux ou même trois. Tous en extérieurs, dans leur contexte habituel de vie.
De menus mouvements montrent qu’il ne s’agit pas d’images photographiques filmées, une jupe ou des herbes légèrement agitées par le vent, un homme qui reprend immédiatement la pose rompue une fraction de seconde…L’opposition entre l’immobilité et le mouvement va s’amplifier tout au long du film.
D’abord la construction du film devient vite évidente. Trois parties séparées par un écran noir. Trois parties indiquant le temps qui passe, les saisons qui se succèdent, l’hiver avec sa neige, le printemps bien peu verdoyant dans ces images en noir en blanc, l’été où l’on verra des fleurs épanouies. Et surtout, entre chaque série de portraits, la caméra se met en mouvement. Un panoramique sur la campagne, un travelling suivant le cours du fleuve. Ça bouge dans la nature, là où les hommes restent immobiles, comme pétrifiés, statufiées. Mais des statues vivantes, respirantes, avec des battements de paupières. Une vie – des vies – qui se fond parfaitement dans la nature environnante, une nature dont la vie justement a bien été présente tout au long du film dans la bande son, avec son souffle de vent, ses cris d’oiseaux et d’animaux de la ferme.
L’immobilité ne serait-elle pas problématique ? Le film ne vise-t-il pas à la remettre en question ?
Les dormeurs de L’Attente ne se réveillent pas, les portraiturés de Portrait ne retourne pas au travail. Le fleuve coule toujours.