B COMME BARCELONE

En construcción, José Luis Guerin, Espagne, 2000, 125 mn.

Une ville, Barcelone. Un quartier, le Barrio Chino. Un quartier du centre-ville, un quartier populaire, un quartier pauvre. Un quartier qui intéresse les promoteurs immobiliers.

Le film de José Luis Guerin suit pendant plus de deux années une de ces opérations qui consiste à détruire de vieilles bâtisses insalubres et construire à leur place de nouveaux immeubles d’habitation d’un tout autre standing. Une transformation importante du paysage urbain, architectural et humain. Les anciens habitants sont obligés de partir. Les nouveaux arrivants appartiendront à une classe sociale plus élevée. Film sur une ville, En construcción est plus fondamentalement un film sur la vie urbaine, sur les évolutions radicales par lesquelles l’organisation sociale est brutalement bousculée. Que restera-t-il du Bario Chico dans quelques années ? Son âme peut-elle se perdre dans les tas de gravats des habitations détruites ?

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Malgré son titre, le film fait une place plus importante aux actions de démolition. Des ouvriers jettent par des ouvertures béantes des restes de meubles abandonnés par les habitants chassés. De gros engins s’attaquent aux murs. De lourdes masses réduisent en poussière les cloisons. Détruire pour reconstruire bien sûr. On a l’impression que les démolitions ne s’arrêtent jamais. Même quand le nouvel immeuble commence à prendre forme autrement que sur un plan. Pourtant, la ville a ses repères, immuables, l’église dont le clocher apparaît souvent en arrière-plan, les trois cheminées d’une ancienne usine et l’horloge géante utilisées tour à tour en plan de coupe. Les vieilles ruelles sont tout aussi indestructibles. Elles sont trop étroites pour laisser passer les bulldozers.

Toutes ces destructions ont un arrière-gout de mort. Le quartier est d’ailleurs construit sur un ancien cimetière remontant à l’antiquité romaine. En creusant de nouvelles fondations, les vestiges apparaissent. Une longue séquence du film est consacrée au travail minutieux d’archéologues mettant à jour un crâne et un squelette. Les habitants du quartier ne veulent pas louper ce spectacle. Guerin filme en plans fixes ces personnes âgées et ces enfants qui commentent les événements. La vie, la mort, le temps qui passe : une plongée dans une philosophie spontanée qui ne cherche pas à échapper à la banalité.

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Le Barrio Chico reste portant bien vivant. Les enfants jouent au foot et investissent le chantier dès que les ouvriers le quittent. Chacun vaque à ses occupations habituelles. Les hommes chantent dans les cafés. Les femmes font la cuisine. Guerin s’attarde sur quelques personnages, un vieux marin, un couple de jeunes paumés. Lui ne travaille pas et sombre dans la drogue. Pour subvenir à leur besoin la fille se prostitue. Leurs relations ne sont pas toujours idylliques. Mais ils connaissent aussi des moments de grande tendresse. Le film se termine sur une scène où plane tout le mystère de la vie. Filmée en travelling arrière, elle courre dans une rue typique du quartier en portant son ami sur son dos. Où vont-ils ? Ils vont devoir quitter le quartier puisque le squat où ils vivent va être détruit. Comme elle se fatigue, il la porte à son tour sur son dos. La séquence s’étire en longueur. Elle peut durer indéfiniment.

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Et puis, il y a les ouvriers engagés sur le chantier. Guerin les filme dans leur travail, couler du béton ou monter un mur de briques. Il saisit leurs conversations, les désaccords sur les horaires, leurs positions politiques ou syndicales. Il les filme dans des temps de pause, pendant leur casse-croute, où les propos sont plus personnels. Là aussi certains d’entre eux deviennent des personnages récurrents, comme ce marocain qui cherche à se faire embaucher et que l’on retrouvera à plusieurs reprises, le jour de la tempête de neige par exemple, ce qui est pour lui une vraie découverte. Le monde du travail s’intègre parfaitement à la vie du quartier. L’immeuble en construction est presque toujours filmé de l’intérieur des futures pièces. Il n’y a pas encore de fenêtres mais leur encadrement permet d’apercevoir en arrière-plan les maisons du quartier, les toits, les forêts d’antennes de télévision. D’autres cadrages ne proposent au contraire aucune profondeur de champ. La vue s’arrête sur les fenêtres ou les pièces des habitations d’en face qui semblent particulièrement proches. . Des relations peuvent alors s’ébaucher entre les ouvriers et les habitants. Une jeune femme étend du linge sur son balcon. L’ouvrier qui la regarde lui adresse la parole. Elle lui sourit, mais disparaît chez elle. A la fin du film, des acquéreurs éventuels visitent l’immeuble presque achevé. Ils s’inquiètent du voisinage, de la sécurisation de l’entrée. Un nouveau mode de vie s’annonce.

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En construcción est souvent présenté comme un bon exemple de mélange entre documentaire et fiction. Si la vie du quartier et celle du chantier sont filmées de façon classique comme un documentaire descriptif, la vie de ses habitants comporte indéniablement une dimension fictionnelle. Le jeune couple, en particulier, dont les moments de conflit, ou de tendresse, sont visiblement « interprétés », même si les deux personnages ne sont pas transformés en acteurs.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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