Bestiaire, Denis Côté, Canada, 2012, 72 minutes.
Bestiaire est un film minimaliste, le plus dépouillé qui soit, concentré presque exclusivement sur son objet : proposer des images d’animaux sans autre intervention. Pas de commentaire bien sûr, mais pratiquement pas de parole non plus, presque pas de son, sauf quelques bruits, le plus souvent off, extérieurs donc à l’image. Rien qui puisse perturber le spectateur dans son face-à-face avec les animaux.
Les animaux que Denis Côté filme sont ceux qui peuplent traditionnellement les zoos et autres parcs animaliers. Peu importe leur identification, aucune indication n’est donnée allant dans ce sens. Alors oui, on peut voir dans le film des girafes, des autruches, des lions, un hippopotame, etc., etc. Dresser une liste exhaustive n’a pas de sens. Le film ne s’adresse pas à des spécialistes. Il ne fournit aucune information sur les animaux qu’il filme. Il se contente de les filmer, en plans fixes, souvent en gros plans, dans un cadrage si serré qu’il isole parfois une partie du corps de l’animal, le plus souvent la tête, mais parfois aussi les pattes, dont on suit le ballet sans voir le reste du corps. Ces cadrages ne manquent pas d’humour, mais peuvent aussi être perçus comme une sorte de provocation, d’interpellation du spectateur ou d’interpellation du spectateur. A qui sont ces bouts de cornes qui se déplacent dans le cadre sans qu’on sache à qui elles appartiennent ? Comme la tête de l’autruche qui entre et sort du cadre, venant d’on ne sait d’où (du hors-champ inférieur de l’image) et donnant l’impression d’une sorte de salutation brève, mais insistante dans sa répétition. Au fond, cette séquence, comme l’ensemble du film, n’a pas d’autre signification que l’identification de la nature fondamentale de l’image cinématographique. Comment dire de façon plus directe ce qu’est une image ? Une fraction d’espace délimitée par l’opération de cadrage. Ce qui entre et sort de l’image, le mouvement alternant le vu et le non vu étant alors secondaire.
Dans ce film qui se concentre donc sur des images d’animaux, la présence humaine ne pouvait qu’être réduite au minimum dans le zoo, quelques opérations de nettoyage ou une intervention vétérinaire. Côté filme même un employé (qui ne peut être identifié plus précisément) qui se contente de regarder un hors-champ indéterminé, un plan relativement long où la seule action est la fermeture finale du rideau métallique qui vient concrétiser la fenêtre qui ouvrait sur cet extérieur invisible.
Les hommes sont pourtant présents dans deux séquences qui nous éloignent du lieu de prédilection de la rencontre avec les animaux, le zoo. Le film s’ouvre, en pré-générique, sur une séance de dessin dans une école d’art où de jeunes gens réalisent le portrait de l’animal empaillé qui leur est proposé. Le montage isole d’abord les visages attentifs de ces « artistes ». Puis il montre l’action du crayon sur la feuille avant de montrer la totalité de la salle où se déroule cette scène muette, les seuls sons audibles se limitant aux fugaces crissements de la mine sur le papier.
Et puis il y cette séquence chez un taxidermiste. Côté filme avec minutie le travail de dépeçage d’un oiseau qui aboutira à l’exposition d’un animal sans vie mais devenu objet éternel de l’admiration de futurs visiteurs. Cette séquence pourrait être interprétée comme celle qui donne son sens à tout le film. Elle symboliserait alors la destination inévitable de tous les animaux présents dans les films animaliers. Mais, bien sûr, il n’y a là qu’une direction qui est extérieure au film et que le cinéaste se garde bien d’emprunter. Lui se contente de faire des images.
Si le projet même de Bestiaire est si dérangeant, c’est qu’il rend impossible à l’avenir tout film animalier, c’est-à-dire qu’il les contraint à n’être que des films qui montrent des animaux, qui accumulent les unes à la suite des autres des images d’animaux. Des films donc qui ne feraient que reproduire (on pourrait dire singer) le Bestiaire de Denis Côté.
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