Je ne suis pas malheureuse, Laïs Decaster, 2018, 45 minutes.
De quoi parlent les jeunes filles lorsqu’elles se rencontrent entre amies et passent des moments de détente, des moments d’oisiveté, à ne rien faire, à n’avoir rien à faire, des moments consacrés à l’amitié, la vraie amitié, celle qui donne du sens à la vie ? Elles parlent beaucoup. Elles se racontent. Et ce n’est pas triste.
Elles parlent beaucoup et elles rient aussi beaucoup. Pas seulement parce qu’elles sont gaies et joyeuses, mais surtout parce que ces moments passées entre amies sont des moments de plaisir, de bonheur. Et ça doit se voit de l’extérieur.

Laïs Decaster a fait des études de cinéma et c’est donc tout à fait normal qu’elle possède une caméra et qu’elle s’en serve. Elle se filme donc elle-même. Elle filme sa vie, et ce qui est le plus proche d’elle c’est-à-dire ses amies, ce petit groupe de quatre filles (elle en est la quatrième qui n’apparaîtra pas à l’image mais que l’on entendra souvent), de quatre amies lancées dans des études post-bac, un petit groupe particulièrement uni. Ainsi, lorsque Laïs filme, elle filme ses amis, leurs discours, leurs rires, leurs délires et même un peu leurs pleurs. Elle filme cette exubérance de la jeunesse, cette inconscience qui par moment fait place à de l’inquiétude, des interrogations sur l’avenir. Le sien et celui des autres. De tous.
Il n’y a pas de garçon dans ce groupe, mais les filles en parlent presque continuellement. Parce qu’ils représentent leur présent et leur avenir. Et parce qu’entre amies, on n’a rien à se cacher. La sexualité est ainsi un sujet de discussion qui revient souvent sur le tapis, mais ce n’est pas sûr qu’elles lui accordent une importance démesurée. Le sexe fait partie de la vie, voilà tout.

Le film auquel aboutit ce filmage régulier des rencontres entre amies est donc un film où l’on parle beaucoup, souvent toutes ensemble, mais toujours avec une grande spontanéité. Il est rare de pouvoir ainsi capter à la fois l’intimité et les rôles sociaux. Car bien sûr, si l’on peut parler de sincérité dans tous ces propos, il n’en reste pas moins que ces filles s’adressent à la caméra et qu’elles n’échappent pas tout à fait à leur posture sociale d’étudiantes dynamiques en route vers un avenir incertain mais qu’elles ont encore le sentiment (l’illusion ?) de pouvoir maîtriser.
Je ne suis pas malheureuse est un film de parole, mais c’est aussi un film d’image. Des images de la jeunesse de notre époque, une jeunesse qui se montre sans fard. Et si la cinéaste prend un plaisir évident à faire des images – de belles images comme celles des corps féminins flottant sur l’eau d’une piscine – les trois autres amies n’en éprouvent pas moins un grand plaisir à être filmées.

Ce film peut être considéré comme un bon exemple d’un certain cinéma actuel qu’on pourrait dire « facile à faire ». Facile parce qu’il donne l’impression qu’il suffit de déclencher la caméra pour faire des images qui deviendront un film. Oui, mais il n’en reste pas moins que ce devenir film réside tout entier dans le montage et que cela ne s’improvise pas. Facile aussi par ce qu’on penser qu’il est tout simple de filmer le quotidien d’un groupe d’amies qui ne demandent que ça. Sauf que le quotidien – la vie de tous les jours – n’est pas dans le film. Les études, la fac, non plus d’ailleurs. Ni les garçons dont on parle tant. Ni la famille. Bref, le film de Laïs Decaster ne nous propose pas des portraits au sens habituel du terme. Il se contente – et il ne propose aucune interprétation et surtout il ne juge pas – de donner à voir des images de jeunes filles d’aujourd’hui. Des filles qui sont bien dans leur peau dans leur corps, quel que soit sa taille. Des filles qui ne baignent pas vraiment dans un bonheur béat, mais qui vivent dans l’instant présent et, lorsqu’elles sont ensemble, qui savent savourer les plaisirs de l’amitié.
Merci Monsieur Carrier pour ce bel article d’autant plus touchant que véridique. Les filles et moi sommes heureuses de faire vivre ce film aussi longtemps qu’il le faudra et grâce à vous nous le pouvons. Merci
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