B COMME BIBLIOTHEQUE – Montreuil.

Chut ! Alain Guillon, Philippe Worms, 2019, 105 minutes.

Un lieu de silence. De concentration. De recueillement presque. Un lieu où il ne faut surtout pas faire de bruit, au risque de se faire rappeler à l’ordre (surtout les plus jeunes) par le personnel qui veille. L’image traditionnelle de la bibliothèque. Le temple du livre. De tous les livres, mais rien que des livres (quelques journaux quand même puisque aussi bien c’est de l’écrit). Cette image n’est plus d’actualité. Les bibliothèques ont bien changé ces dernières années. Et d’abord, elles n’ont plus peur du bruit.

Le film de consacré à la bibliothèque Robert Desnos de Montreuil commence par de la musique et finit en musique. Des fêtes où l’on boit du jus d’orange ou des sodas ; où l’on chante et où l’on danse sur de la musique proposée par un DJ. De quoi attirer les jeunes bien sûr. Mais les moins jeunes ne se font pas prier non plus. Il y a tous les âges à la bibliothèque de Montreuil. Les bébés de quelques mois à qui l’on montre des livres d’images et des enfants de moins de trois ans qui viennent accompagnés de leur mère ou de leur gardienne. Les enfants scolarisés dès la maternelle viennent en groupe avec leur maitresse (le monde de la bibliothèque est majoritairement féminin). Les séniors viennent lire la presse quotidienne et magazine et suivent des ateliers d’initiation à l’informatique. Et entre les deux, les ados, collégiens ou lycéens, qui viennent seuls faire leurs devoirs ou lire manga et bd, ou en groupe avec leurs professeurs pour des projets pédagogiques qui font appel au livre mais aussi aux ordinateurs, très présents à l’écran.

Nous suivons d’ailleurs longuement un de ces ateliers où les ados vont apprendre à faire du journalisme (présenter un invité et mener un entretien) et à réaliser un document vidéo qui sera la mémoire de leur travail. Beaucoup de conseils, surtout on suscite la réflexion et on leur laisse prendre des initiatives. L’implication de tous est importante.

Pour le reste, on suit quand même par petits fragments disséminés dans le film les activités traditionnelles des bibliothécaires : recevoir et conseiller le public, inscrire les nouveaux, leur décrire les lieux et expliquer le fonctionnement du prêt, ranger les livres et se réunir pour organiser tout cela et régler les problèmes qui peuvent surgir comme celui posé par la SDF qui dort dans un recoin du bâtiment et qui voudrait bien vendre ses dessins aux usagers. Tout cela se fait toujours dans la bonne humeur. Chacun peut s’exprimer et ne s’en prive pas. Il y a beaucoup de rires et de sourires et pas l’ombre d’un conflit. Un personnel qui visiblement aime par-dessus tout son travail et qui n’hésite pas à mettre la main à la pâte pour des tâches qui sont bien éloignées de la lecture, comme installer une exposition et pour cela peindre des cloisons. Bref, tout est fait pour attirer le public et faire qu’il se sente chez lui dans cette bibliothèque bien éloignée d’une représentation des banlieues pauvres et incultes. Les ados en particulier pourront dire qu’ils ont eu la chance d’y travailler et de s’éveiller à la culture. Une culture vivante, à leur dimension.

Le film a un petit côté wisemanien. Comment ne pas penser à Ex Libris. Mais Chut ! ne pâtit pas de la comparaison. Il n’y a pas de commentaire, comme chez Wiseman, et pas d’entretien (tout juste 2 ou 3 passages où les bibliothécaires s’adressent directement à la caméra pour donner rapidement une explication). Il y a des plans de coupe en plans fixes, comme chez Wiseman, pour respirer un peu après l’excitation de la journée. Le bâtiment tout en verre est filmé la nuit et brille de tous ses feux. On a même droit à la séquence devenue depuis Wiseman un passage obligé du filmage de la réalité vivante d’une institution : le ménage (on le retrouve par exemple à la Maison de la radio filmée par Nicolas Philibert ou à la BPI dans le film consacré aux ateliers de conversation, ateliers que l’on retrouve d’ailleurs ici). Mais il y a quand même une différence importante avec Wiseman, le rythme du film. Là où Wiseman prend son temps, et du coup bat tous les records de durée des films, ici les séquences sont plutôt courtes et surtout on passe toujours rapidement et sans transition de l’une à l’autre. Du coup le film déborde de vitalité et d’entrain. Ce qui n’exclut pas de porter un regard quasi sociologique sur la vie du quartier et sa diversité. Ici les femmes voilées sont nombreuses et leur permettre d’apprendre le français et surtout de pouvoir évoquer leur vécu est une étape importante en vue de leur intégration. Et puis Montreuil n’est pas Manhattan…

Chut ! devrait pouvoir contribuer à attirer de plus en plus de monde dans les bibliothèques dont les évolutions sont sans doute irréversibles. Qui s’en plaindrait ?

A Lire sur Ex Libris de Frederick Wiseman : B comme bibliothèque

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

Laisser un commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :