Il n’y aura plus de nuit. Éléonore Weber, France, 2020, 75 minutes.
Abolir la nuit. Vaincre le noir, nier l’obscurité. Voir comme en plein jour. Voir tout le temps. De jour comme de nuit. De nuit comme de jour.
Voir dans la nuit, c’est possible grâce aux caméras thermiques. Celles utilisées par l’armée surtout. Pour traquer ses cibles. Pour les repérer de haut, depuis un hélicoptère. Et la détruire sans coup férir. Qu’il s’agisse de soldats, d’ennemis, ou de civils par définition innocents.

Le film d’Eléonore Weber nous confronte à ces images de ces caméras, tels que le pilote les a à sa disposition, avant de déclencher le tir. Plus exactement pour pouvoir déclencher le tir. Sur l’écran, pendant plus d’une heure donc, nous n’avons qu’elles. Nous sommes enfermés dans l’hélicoptère d’où elles sont prises. Avec en bruit de fond les dialogues du pilote avec sa base. Des appareils de l’armée américaine mais aussi française. En Afghanistan, en Iran, au Pakistan. Repérer des suspects, suivre ces cibles potentielles, les détruire. La routine pour les soldats.

Le commentaire du film s’appuie sur le témoignage d’un soldat français, Pierre V, qui a connu cette expérience et qui en évoque toutes les difficultés. Un commentaire précis, qui pose les questions que cette guerre « moderne » ne manque pas de susciter. Une guerre qui se vente de réduire au maximum les dégâts collatéraux grâce à ses célèbres « frappes chirurgicales ». Mais les pilotes n’ont-ils jamais de doute du moment qu’ils peuvent tout voir ? Quelle différence y a-t-il sur leur écran entre un soldat et un civil ? Peut-on éviter les bavures ? « Plus les pilotes voient plus ils risquent de se tromper » dira Pierre V.

Ces images, d’un gris anthracite, sans couleur donc, mais avec cette lumière particulière, cette brillance, que produit la chaleur, les corps humains donc, des films documentaires les avaient déjà utilisées. La Mécanique des flux de Nathalie Loubeyre par exemple lorsqu’il s’agit de repérer les migrants essayant de franchir une frontière de nuit. Ou bien dans cette séquence du film de Stephano Savona, Samouni road, où l’hélicoptère israélien détruit une maison palestinienne à Gaza. Dans tous les cas, la guerre est toujours inscrite sur l’image à travers la croix du viseur en son centre, une croix qui suit la cible avec insistance et qui ne s’efface que pour quelques secondes, lorsque la fumée envahit l’image au moment de la frappe.

Il y a dans Il n’y aura plus de nuit trois séquences particulièrement fortes. Celle d’abord où c’est un photographe qui est abattu, le pied de son appareil ayant été, nous dit le commentaire, pris pour un fusil. Puis cette explosion soudain qui fait pousser un grand cri au pilote de l’hélicoptère. C’est qu’il n’a pas tiré, l’explosion étant celle de la bombe artisanale que le groupe de suspects était en train de manipuler. Enfin, il y à quand même un moment où la guerre semble s’arrêter. C’est lorsque les images nous montrent un petit groupe d’enfants qui jouent dans un jardin.
Mais la guerre peut-elle vraiment s’arrêter ? Et puis, en voyant ces images, nous ne pouvons manquer de nous inquiéter. Ne sommes-nous pas tous susceptibles d’être observés, suivis, espionnés, de jour comme de nuit ? La dernière séquence du film nous montre les images que peuvent réaliser les caméras les plus récentes. Une plage de Californie aux couleurs éclatantes, filmée de nuit. Orwell est bien loin derrière nous.