Begzor Begzar. Bijan Anquetil, France 59 minutes.
Un réfugié Afghan. Un parmi bien d’autres. Mais c’est lui que le cinéaste a rencontré. Maintenant ils se connaissent. Sobhan peut devenir le personnage central du film de Bijan Anquetil. Un film qui sera donc un portrait. Mais bien plus qu’un portrait.

Le film suit la vie de Sobhan pendant une durée s’étendant autour d’une année. Une vie d’errance puisque la demande d’asile déposée par Sobhan a été rejetée. Alors il est expulsé. Expulsé de France, mais il reviendra. A pied s’il le faut. Il ira en Autriche. En Italie. Mais pendant longtemps, son but, c’est l’Angleterre. Comme des centaines – ou des milliers – de réfugiés Afghans. Tous ceux qui se retrouvent à Calais dans l(attente d’une opportunité pour franchir la mer. Une attente longue. Et si la possibilité se présente de se cacher dans un camion, le voyage est des plus périlleux. Et incertain. Sobhan le réussira, une fois. Mais arrivé à Douvres, il sera expulsé d’Angleterre.

Le fil est constitué de longs entretiens entre Sobhan et le cinéaste qui parle Afghan. C’est d’abord bien sûr le récit des voyages de Sobhan. Depuis le trajet initial depuis l’Afghanistan, jusqu’aux déplacements en Europe dus au système d’expulsion. Sobhan a fait enregistrer ses empreintes digitales en Autriche. C’est là qu’il échouera. Et comme l’Italie ne lui déplait pas il tente de se faire enregistrer dans un commissariat. Un commissariat qui se révèlera introuvable au cours d’une nuit de recherche vaine. Comme si rien des projets quotidiens ne pouvait aboutir. Comme s’il devenait, au fil du temps, de plus en plus inutile de faire des projets.

Sobhan ne tombe pas pour autant dans la résignation. C’est vrai que le lien social tissé avec le cinéaste est visiblement une bouée de sauvetage pour lui. Anquetil le filme souvent en gros plan. Et l’on sent qu’il y a dans ce choix la volonté de nous le rendre sympathique et attachant. Leurs discutions ne tombent jamais dans le registre de la plainte. Ou de la colère. Et le cinéaste ne manifeste aucun apitoiement.

Le cinéma documentaire s’est beaucoup penché ces dernières années sur la situation des réfugiés, que ce soit dans la jungle de Calais, ou lors de leurs tentatives pour franchir des frontières que les Etats européens s’efforcent de rendre de plus en plus infranchissables. Le titre du livre de Georges Didi-Huberman consacré au film Les spectres hantent l’Europe de Maria Kourkouta et Niki Giannati , Passer quoi qu’il en coûte, est devenu le slogan de tout réfugié en Europe. Pourtant dans le film de Bijan Anquetil, il semble être hors de propos. Nulle attitude combative dans les errances et les voyages de Sobhan. Mais bien sûr ce n’est qu’une illusion. Car l’opiniâtreté qui est la sienne, quelle que soit sa situation, est tout le contraire du renoncement.

Le titre du film renvoie à une chanson Afghane que Sobhan évoque à la fin du film, « Laisse-moi et poursuit ton chemin ». Mais ce n’est pas vraiment une conclusion. L’errance de Sobhan n’a pas de fin. Et le film se termine uniquement parce qu’un jour il disparaît, sans prévenir le cinéaste, poursuivant son voyage sans la compagnie d’une caméra, sans le témoignage de la caméra. En dehors de l’œil un tant soit peu inquisiteur de la caméra.
Visions du réel 2020.