C COMME CUBA – Enfants.

Baracoa. Pablo Briones, Suisse, Espagne, États-Unis, 2019, 89 minutes.

Gosses de Cuba. Deux garçons, Antuan et Lionel. D’une dizaine d’années. Un peu moins pour le plus petits, un peu plus pour le plus grand. Deux amis désœuvrés, totalement oisifs. Qui ne savent pas quoi faire de leurs journées. Qui n’ont rien à faire. Sans doute s’agit-il d’une période de vacances scolaires. De l’école, de toute façon, il n’en sera jamais question.

Ils n’ont rien à faire, alors ils trainent ici ou là, dès le matin et jusqu’à tard dans la nuit. Au village semble-t-il ils vivent l’un et l’autre chez une grand-mère. Mais il n’est pas vraiment question de la famille, des parents. Sauf pour Antuan, le plus grand, qui parle de son père, qui vit à Baracoa, cette ville au bord de la mer où il rêve d’aller. Et d’y inviter son copain, Leonel.

Les différences entre les deux amis vont apparaître de plus en plus criantes au fur et à mesure du déroulement du film. Différence d’âge d’abord. Le grand peut sembler par moment protéger le petit (leur différence de taille est aussi importante). Mais le plus souvent il affirme son pouvoir, un ascendant sur lui qui se manifeste dans toutes les situations, tous les jeux, où la force intervient, ce qui est loin d’être rare dans leurs relations. Et puis la différence sociale devient de plus en plus manifeste. Antuan, lui qui se décolore les cheveux et qui se rase les jambes, se plait à étaler le « luxe » dont il peut jouir chez son père, plusieurs postes de télé et des ordinateurs. Pour ne pas révéler qu’il crève d’envie, Leonel n’a pas d’autre solution que de traiter son copain de menteur.

Les relations entre les deux garçons sont caractéristiques de la dimension sociale de cette période de préadolescence. Que l’on soit à Cuba ou dans bien d’autres régions du monde d’ailleurs. L’amitié entre garçon se doit d’être virile et surtout ne pas s’afficher. Les insultes ou autres formes de brimades sont monnaie courante. Pas questions d’une quelconque admiration pour son ainé, bien qu’il apparaisse souvent comme un modèle. Et le plus grand n’hésite pas à se moquer de son compagnon, de le rabrouer et de le dévaloriser, parce qu’il ne sait pas nager et qu’il a peur de l’eau. Pourtant, lorsqu’à la fin du film, ils se baignent ensemble dans la mer, c’est bien la présence, et l’aide d’Antuan qui permet à Leonel de surmonter son appréhension.

Tout au long du film le filmage, très intimiste, est à hauteur d’enfants. Et si la caméra tend à se faire oublier, dans beaucoup de situations on sent qu’elle est toujours là. Dans beaucoup de cas nous ne sommes pas loin d’une dimension fictionnelle. C’est le cas en particulier de la longue séquence où les deux garçons s’enfoncent dans l’étroit boyau d’une grotte. Les torches qu’ils ont confectionnées pour s’éclaire finissent par s’éteindre. Comment regagnent-ils la sortie dans le noir ? Le film ne se penche pas sur des problèmes de sécurité, mais on sent bien que filmer des enfants dans une telle situation n’est possible que si au moins un adulte, en l’occurrence le cinéaste, les dirige (comme des acteurs) et les guide.

L’errance des deux garçons autour de leur village nous permet d’appréhender un aspect de la campagne cubaine plutôt négatif. Pas de culture. Des vaches errent au hasard comme les garçons. Le paysage est constitué de vastes hangars désaffectés. Une carcasse de voiture (sans roues, sans sièges, sans volant) et une grande piscine vide sont des terrains de jeux misérables et qui ne peuvent guère enthousiasmer les garçons. Le contraste avec la dernière partie du film, tournée au bord de la mer, est saisissant, comme si le cinéaste voulait montrer une évolution entre deux Cuba bien différents. Leonel peut alors être émerveillé par la foule, les lumières, et la baignade devient un plaisir.

Un film sur l’enfance d’une rare authenticité.

Cinelatino 2020, Toulouse.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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