Primary. Robert Drew. 1960. Noir et blanc 53 minutes. .
Réalisé par Robert Drew, filmé par Richard Leacock et Albert Maysles, produit par Donn Alan Pannebacker, Primary retrace la campagne pour les élections primaires du parti démocrate en 1960 dans l’Etat du Wisconsin. Cette élection oppose le futur président des Etats Unis, John Kennedy au sénateur Hubert Humphrey.
Ce film est considéré comme le premier exemple de « cinéma direct », annonçant les œuvres marquantes des années 60 au Québec (Brault, Perrault) et en France (Ruspoli, Rouch). Il y est en effet expérimenté une nouvelle façon de filmer grâce à l’utilisation d’une caméra portée à l’épaule, au milieu de la foule souvent, pour suivre les personnages (les deux candidats) au plus près. Ici pas d’interviews, pas d’analyse par des journalistes ou autres spécialistes politiques. Très peu de commentaire off aussi. On suit uniquement les candidats dans leurs déplacements, en montant parfois avec eux dans leur voiture, dans les meetings dans les rues où il leur faut serrer les mains encore et encore, à la télévision aussi. On entre ainsi vraiment dans la vie des hommes politiques. Chaque situation est montrée d’un point de vue particulier. Le film n’est pas réalisé du point de vue des électeurs, de la foule. Dans les meetings nous ne sommes pas dans la salle mais sur la scène, derrière ou à côté du candidat, parmi ceux qui l’accompagnent (Jacky et Robert Kennedy sont très présents aux côtés de John), dans les coulisses aussi, en particulier celles de la télévision. Ce point de vue n’est pas non plus vraiment celui des candidats eux-mêmes. Aucune prise de vue ne peut être considérée comme réalisée par une caméra subjective. Il s’agit en fait d’un point de vue tout à fait particulier, purement cinématographique, celui du cinéaste-caméraman.
Si le montage a son importance pour donner du rythme au film, il faut souligner que fondamentalement ce film est fait au tournage. Ce n’est pas un hasard alors si beaucoup de critiques et d’historiens du cinéma attribuent en fait le film à Richard Leacock, passant sous silence Robert Drew ou Robert Maysles. C’est Leacock en effet qui filme Kennedy, alors de Maysles est chargé de suivre Humphrey. Si les séquences concernant Kennedy semblent plus importantes que celles consacrées à son rival, ne n’est pas uniquement parce que ce sera lui le vainqueur de la primaire et ensuite de l’élection présidentielle. Voir le film aujourd’hui a certes une dimension historique concernant l’ascension de Kennedy vers la présidence des Etats Unis. Mais en même temps, il faut reconnaître la force du filmage de Leacock. Les séquences les plus percutantes du film sont par exemple celle où Kennedy fend la foule pour accéder à la scène où se tient son meeting. Ou encore celle où à côté de Jacky il sert à n’en plus finir les mains de tous ces américains qui défilent devant lui. Leacock a réussi à montrer un John Kennedy particulièrement charismatique, subjuguant les foules dans ses discours, immédiatement sympathique et proche de ses électeurs. Il en fait une véritable star de cinéma. Et c’est bien cela que nous montre le film dans son ensemble : le quotidien de l’action politique avec ses contraintes et ses routines, sa langue de bois et ses promesses électoralistes. Mais il montre aussi la starisation de l’homme politique, signant des autographes comme un chanteur ou un acteur d’Hollywood, répondant avec un évident plaisir, malgré la fatigue tout aussi apparente, aux ovations de la foule. On peut considérer Primary comme le film de la naissance d’un mythe.