Sinjar, naissance des fantômes. Alex Liebert et Michel Slomka, France, 2020, 103 minutes.
Il était une fois… Un conte ? Ou une histoire bien réelle. Celle d’un peuple martyr. Un peuple que la carte situe entre Irak et Syrie. L’histoire récente d’un massacre opéré par les fanatiques de Daech. Comment évoquer l’horreur. Est-il possible de la filmer ?
Alors un poème, pour Sinjar, la ville des Yézidis, au pieds des montagnes. « Je suis montagne » dit la voix, une voix de femmes chargée d’émotion. « Et la douleur est mon nom ». Pourtant le poème ne laisse pas la place aux pleurs. Les images sont faites de travellings rapides sur les montagnes désertiques. Des plans fixes aussi. Ponctués d’écrans noirs. Accompagnés de musique et de chants.

Le massacre : le 4 aout 2014, le groupe armé État Islamique (Daech) envahi Sinjar et perpétue un massacre systématique, suivi de l’enlèvement des enfants garçons, pour en faire des enfants soldats, et des femmes et des filles dont ils feront des esclaves sexuelles, vendues et revendues aux plus offrants.

Le film propose dans sa première partie, une série d’entretiens avec les femmes qui ont pu s’enfuir ou être libérées du joug de Daech. Des récits souvent très précis, insupportables à l’écoute. « On était du bétail ». Pire même. Mais peut-on faire le récit de l’enfer ? Il faut pourtant « dire ce qui ne peut être dit ». Et continuer à vivre. Malgré la peur, et la honte, qui subsiste. Qui ne sera jamais effacée.

Ces entretiens sont une dénonciation sans appel de Daech, qualifiant le massacre comme crime contre l’humanité. Il s’agit d’un véritable génocide contre les Yézidis, visant à faire disparaître leur culture et leur religion. Ce sont aussi des hommages au courage de ses femmes qui ont subi les pires atrocités, et qui pourtant viennent témoigner devant une caméra, pour « ouvrir les yeux, sortir du noir ».
Que peut-on ajouter à cela. Le film ne devrait-il pas se clore sur ces récits ? Mais Sinjar n’est pas morte, comme il sera dit à la fin du film. Et les femmes elles-mêmes affirment qu’il faut vivre. « Nous n’avons pas d’autre choix ». Et les enfants continuent de jouer, parce que ce sont des enfants.

Alors le film poursuit son investigation. Les cinéastes rencontrent les hommes qui ont entrepris de tout faire pour libérer les femmes des griffes de Daech. Des opérations de petits groupes, murement réfléchies pour être efficace. Cette lutte sera longue encore.
Et puis, les cinéastes nous offrent des images.

Une longue errance à bard d’un véhicule dans les dédales de l’immense camp de toile destiné à accueillir les habitants de Sinjar qui ont tout perdu dans la guerre.

Une guerre dont nous voyons les effets. Une deuxième longue pérégrination, dans les rues de la ville détruite cette fois. Une longue suite de ruines, de rues dévastées, de maisons et d’immeubles réduits à des tas de gravats. Sinjar pourra-t-elle renaître de ses cendres ? Des images qui sont un appel à ne pas oublier. Un cri pour éveiller les consciences.

Le film se termine pourtant sur une note d’espoir. Les Yezidis survivants sont prêts à défendre coûte que coûte leurs traditions et leur religion. Preuve, ces chants et ces danses auxquelles ils participent avec ferveur, lors d’une fête. La fête de la résilience et de la renaissance.
Escales documentaires, La Rochelle, 2020. Grand Prix.
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