TERRE PROMISE ?

Mizrahim, les oubliés de la terre promise. Michale Boganim, France-Israël, 2021, 93 minutes.

Israël, terre promise. Pour les juifs d’Europe, sans doute. Mais les autres, ceux qui venaient du Maroc et du Maghreb, du Caucase et de l’Asie ? Ils y ont cru pourtant. Un pays nouveau, neuf, où tout était certainement possible. Mais la réalité fut tout autre. La Terre promise ne fut pas la même pour tous.

Les oubliés de la Terre promise, nommés les Mizrahim avec un rien de mépris et pas mal de condescendance, ce sont ces juifs non européens, et tout particulièrement ces juifs arabes qui ont immigrés en Israël à partir des années 1950 et qui ont été systématiquement discriminés à leur arrivée. Parqués d’abord dans des camps de transit, ils seront ensuite dirigés vers la « périphérie » des villes, ces terres arides, désertiques, loin des centres. Et ils n’auront accès qu’à des emplois de seconde zone.

Le film qui retrace le sort de quatre générations de ces oubliés de l’Histoire ne pouvait qu’adopter le ton de la désillusion couplé au regret engendré par la perte du pays d’origine. Pourtant, il ne s’agit nullement d’une lamentation. La cinéaste part sur les traces de son père et de ceux qui comme lui ont subi ces discriminations, ou leurs descendants. Ce père qu’elle a suivi petite fille dans un exil qu’elle ne pouvait pas comprendre. Mais le côté familial du film ne s’arrête pas à cet hommage posthume. Le film se présente comme une lettre adressée par la cinéaste à sa propre fille qui a le même, âge qu’elle avait elle-même lorsqu’elle a quitté le Maroc. Elle filme souvent en gros plan cette enfant qui ne parle jamais, mais dont le regard nous dit beaucoup de chose.

Le film de Michale Boganim, propose un rapport complexe – et particulièrement subtil – à la temporalité. D’abord il y a la dimension historique évidente, ce que souligne l’usage des images d’archive en noir et blanc. Mais on passe très vite à la couleur et aux images actuelles, celle de l’enquête sur la situation présente des Mizrahim. Le présent ne pouvait pas être mis de côté. L’histoire de l’exil ne s’arrête jamais, comme le montre ce nouveau déracinement que connaît la famille de la cinéaste lors de son arrivée en banlieue parisienne, pour vive là aussi dans une zone périphérique. Une façon d’insister sur cette dimension devenue universelle de l’exil. Et des marques indélébiles que laissent les migrations.

Et puis l’avenir est bien là aussi, à travers le filmage de la fille de la cinéaste. Sera-t-elle toujours une immigrée sans racines, une Mizrahim ?

Côté histoire, le film contient son lot de découvertes, concernant en particulier l’épisode de la contestation sociale – tracs, manifestations, actions plus ou moins violentes – orchestrée en particulier par le père de la cinéaste. S’inspirant du mouvement des afro-américains aux Etats-Unis, les Mizrahim reprennent le nom de Panthère noire et le symbole de l’animal. Un mouvement qui s’éteindra rapidement pour cause de déclenchement de la guerre du Kipour. Il n’aura guère fait bouger la situation des Mizrahim en Israël.

Une voix off – celle de la cinéaste – particulièrement émouvante ; un récit autobiographique qui nous plonge dans un vécu familial tourmenté ; un rappel historique qui résonne fortement avec la situation actuelle des arabes israéliens ; un road movie parsemé de chansons étonnantes ; un film construit comme une enquête qui nous rappelle qu’aucun immigré n’échappe aux souffrances des discriminations.

La Terre promise n’appartient qu’à ceux qui se l’approprie.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

Laisser un commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :