Tranchées. Loup Bureau, 2022, 85 minutes.
Le passage est si étroit que le cameraman n’a pas d’autre solution que de suivre le soldat et de marcher derrière lui tout au long de ce sinueux et lugubre chemin creusé dans la terre. Un soldat qu’on ne verra donc que ce dos, dans les nombreux plans identiques qui jalonnent le film, jusqu’au moment où il arrive à l’abri où il posera son arme et son casque et pourra se reposer.

Deuxième plan récurrent du film : creuser. Creuser la terre, la pierre, avec des pioches et des pelles pour évacuer les roches et les cailloux. Creuser pour ouvrir des tranchées, puis construire des abris -résisteront-ils aux gros calibres ? Essayer de se protéger, de sécuriser le groupe, avec des sacs remplis de terre. Quand les soldats auront fini de creuser, il sera temps de passer à l’offensive, à la contre-offensive, faire parler les armes.

Cette guerre dans laquelle nous sommes immergés, c’est celle qui oppose depuis 2014 l’armée ukrainienne et les forces séparatistes pro-russes dans le Donbass. Une guerre interminable dont on sait aujourd’hui qu’elle est loin d’être finie.

Le film de Loup Bureau se déroule auprès des forces ukrainiennes, sous le feu de l’ennemi. Il existe officiellement un cessez-le-feu, mais les séparatistes utilisent leur artillerie tant qu’ils, ont des munitions. Alors, lorsque les tirs ennemis s’épuisent, il faut bien riposter.
Nous suivons les soldats du 30ème bataillon de l’armée ukrainienne, des soldats qui, lorsque l’ennemi laisse un peu de répit jouent à la guerre sur console vidéo. Il faut bien passer le temps. Mais le danger est toujours là. L’inquiétude, voire l’angoisse, sont bien palpables, présentes jour et nuit lorsqu’il n’est pas possible de dormir. Dans cette interminable attente de cette guerre enterrée, on rêve de ce que l’on fera en revenant chez soi : boire et baiser. Tout l’horizon des soldats en campagne.

Dans une longue séquence particulièrement originale, nous sommes en présence d’une femme soldat, perdue au milieu des hommes. Visiblement elle est respectée par tous. Le propos du cinéaste n’est pas alors de problématiser les rapports homme-femme au sein de l’armée. Encore moins d’ouvrir une problématique sur la question du genre en période de guerre. C’est bien plutôt pour lui l’occasion de pénétrer avec la plus grande lucidité possible dans le vécu de la guerre, la peur qu’elle déclenche inévitablement lors de l’explosion des bombes, et la présence de la mort.

Le film pourrait se clore avec cette séquence filmée en couleur – alors que jusqu’alors tout n’était que grisaille, avec le noir de la nuit et le blanc des fumées – des soldats démobilisés qui reviennent chez eux. La file de chars traverse des villages qui n’ont pas souffert des bombes. Les soldats saluent les habitants sur le pas de leurs portes. Mais le réalisateur a dû ajouter quelques plans en noir et blanc à nouveau. Un soldat qui marche dans une trachée, vu de dos. La guerre en Ukraine n’est pas finie.