Qu’est-ce qui a été déterminant dans votre entrée dans la « carrière » ?
Réponse de François ZABALETA
Toute vocation a sa scène primitive. Et ma scène primitive, elle, découle d’un concours de circonstances quasi miraculeux. Celle d’un cinéphile éclairé devenu plus tard un grand critique de cinéma : Pascal Mérigeau. Avant, comme on disait alors, de monter à Paris et de rencontrer la notoriété que l’on sait, il avait en effet créé dans les années soixante, dans la ville où je suis né, Niort, un ciné d’art et d’essai : Le Studio 27. J’avais huit ans et j’allais, le jeudi après-midi, à la séance destinée au jeune public. Et c’est là que j’ai eu ma scène primitive en découvrant, à huit ou neuf ans, le génial diptyque de Fritz Lang, Le tigre du Bengale et Le Tombeau Hindou. En sortant, je m’en souviens très précisément, m’être dit, non pas que je voulais devenir cinéaste, mais que je voulais devenir un raconteur d’histoires. Que je ne voulais que ça : passer ma vie à raconter des histoires. Plus tard, adolescent, je verrai Le voyage des comédiens de Théo Angelopoulos, qui m’a aussi durablement marqué. L’autre scène primitive, que je raconte dans mon film qui lui est consacré, Dernière danse, est le séisme existentiel que j’ai ressenti, à la fin des années soixante-dix, lorsque j’ai découvert, par hasard, l’œuvre de la chorégraphe allemande Pina Bausch. Elle m’a appris la chose la plus essentielle pour un apprenti créateur (quelle que soit sa discipline) : la liberté. Ce qui a été déterminant a été, dans les mêmes années, la découverte des films de Marguerite Duras et de Chantal Akerman. Je suis parti aux Etats-Unis (je raconte mon expérience dans mon film Jeunesse perdue) à cause de son film News from home. Ça été le déclic. Le passage à l’acte ne pouvait plus être différé. Bien sûr je n’ai réalisé des films que tardivement, mais ce désir, cette obsession plutôt, ne m’a jamais quitté. Ce qui a été déterminant a été l’inconscience totale dans laquelle j’ai commencé à faire des films. Je connaissais le cinéma mais pas le milieu du cinéma. Mais cela n’avait pas d’importance et cela n’en a toujours pas. Je suis certes un franc-tireur, un marginal, mais je suis modestement assis sur le strapontin que j’ai fabriqué de toutes pièces. Je savais qu’on ne m’accepterait jamais. Qu’on ne me ferait jamais de place. Alors je ne me suis pas découragé. Et cette place je me la suis inventée. Pour paraphraser le livre fondateur de Jerzy Marian Grotowski, je pourrais définir ce que bien modestement j’essaie de faire (mais je suis bien loin d’être le seul, Alain Cavalier, Agnès Varda, Rémi Lange, Vincent Dieutre, Frank Beauvais et tant d’autres) sous l’intitulé : pour un cinéma pauvre. Et si j’ai tenu c’est grâce à cette consciente non prise en compte du système, de l’establishment que défendaient des artistes aussi essentiels pour moi : Jonas Mekas, Chris Marker et tant d’autres. Pour terminer j’aimerais citer cette phrase de Luther qui m’a toujours aidé à survivre aux difficultés inhérentes à ma façon de produire et de réaliser des films : « Si demain on m’annonçait la fin du monde, je planterais quand même un pommier. »
François ZABALETA.