Nos forêts. Matthieu Chatellier. 2022,
La séance de clôture du cycle consacré à Daniela de Felice et Matthieu Chatellier par la cinémathèque du documentaire au centre Pompidou à Paris. Un point final provisoire ? Une synthèse, un bilan partiel, une pose au milieu du gué ? Ou comme on dit toujours dans de telles circonstances, rien de tout ça et tout ça à la fois.
Toujours est-il que cette séance affiche à son programme un film inédit du cinéaste, un film inconnu devrait-on plutôt dire et qui n’est pas le dernier en date de son auteur. Un film fantôme, qui s’avance masqué, et qui fait tout pour perdre le spectateur, le dérouter, le détourner des premières impressions ressenties et des premières idées qui peuvent surgir dans cette attention flottante qui est de mise pour visionner un film qui s’annonce mystérieux, en marge ou en rupture avec ceux qui le précèdent dans une filmographie pleine de surprises, de rebondissements, de chemins de traverse et peut-être bien aussi de quelques impasses.
Pourtant, on a bien cru, un moment, avoir entre les mains une clef. Le film contient en effet quelques références explicites, des citations même, les manifestations étudiantes, la prothèse, le blanc de la montagne. Mais très vite les infirmations deviennent plus nombreuses et il n’est plus guère possible de faire de Nos Forêts un film qui joue la rétrospective proposée en jeu au cinéphile ou à l’historien du cinéma. Car où retrouver le loup et l’élevage de chèvres dans les films de Chatellier ; à quoi ou à qui renvoie l’ancien ami étudiant devenu amnésique ; et on a beau chercher dans la neige, les traces qu’on peut y repérer ne sont pas celles d’un oursin !

Mais il y a mieux – ou pire. Le film est annoncé, et se présente lui-même comme un documentaire. Les longues marches dans la montagne, la recherche de la solitude, construire un cadre autobiographique d’une réflexion sur la création artistique et les tourments qu’elle peut susciter. Mais le cinéaste ne se gène pas pour nous bombarder de séquences on ne peut plus fictionnelles, avec des acteurs et des mises en scène transparentes. Le cinéaste lui-même apparaissait sous un nom d’emprunt et s’il n’est pas possible de ne pas le reconnaître, on a très peu, même pas du tout, d’information sur sa personnalité intime. Le film ne peut alors qu’être appréhender que comme un exemple type de mélange des genres. Un documentaire qui devient fiction sans prévenir. Une fiction qui se cache sous l’apparence d’un documentaire. Bref un film qui se plait à brouiller les pistes. Ou plutôt à perdre son spectateur, à le mystifier. Et c’est en cela qu’on peut louer l’habileté extrême du cinéaste. Car au fond, Nos Forêts finit par nous apparaître, et c’est sa grande force, comme un film qui nous révèle l’essence même du cinéma, un film qui magnifie le fait de raconter des histoires, de nous y faire croire dur comme fer, mais le temps d’un instant seulement, car il nous ramène immédiatement sur terre. Et s’il donne l’impression d’échapper au réel, c’est pour mieux nous y ramener.

Faire de la fiction est sans doute un but pour tout cinéaste, même pour les documentalistes. Pour ces derniers serait-ce simplement une tentation plus ou moins secrète ? Ou une illusion ? Dans ce débat infini, le film de Matthieu Chatellier nous apporte une pièce pour le moins importante : faire du cinéma c’est jouer avec les images et les sons, c’est jouer avec différents systèmes de représentations, c’est toujours jouer avec les nerfs du spectateur, se moquer de sa bonne foi, de sa crédulité et de sa naïveté. Au spectateur d’accepter d’être leurré et de savoir savourer le plaisir que ce leurre magnifique ne peut que provoquer.