Mafrouza

Mafrouza. Emmanuelle Demoris, 2011, 746 minutes

Une longue immersion dans cet univers particulier, un quartier d’Alexandrie, près du port, un bidonville destiné à la destruction tant les conditions de vie y semblent précaires. Pourtant aucun de ceux que l’on rencontre ne se plaint, aucun ne semble vouloir partir d’ici. Mafrouza, c’est tout à la fois la pauvreté extrême, la saleté partout évidente, l’exiguïté des habitations, de simples pièces dans lesquelles toute la famille doit vivre, les gravats qui s’accumulent et l’eau qui remonte du sol et qu’il est impossible d’arrêter. On ne vit pas à Mafrouza. Tout au plus on essaie d’y survivre. Et pourtant, les habitants savent encore rire, danser, chanter, faire la fête à l’occasion d’un mariage, ou simplement lors d’une sortie dans les rues de la ville.

Le film est divisé en 5 parties, avec chacune un titre spécifique (1 Oh la nuit ! 2 Cœur, 3 Que faire, 4 La main du papillon, 5 Paraboles) qui évoque sa dimension propre. Mais elles ne sont pas vraiment autonomes puisqu’elles s’enchainent au fil du temps dans une chronologie qui respecte la succession des saisons. Si l’on peut les voir séparément, on perdrait beaucoup à n’en voir qu’une partie. Mafrouza tient un peu du feuilleton par la présence de personnages récurrents, le Cheikh Kattab, Adel et Ghada le jeune couple qui aura leur premier enfant en cours de film, ou Abu Hosny, vieil employé du port, dont la maison est continuellement inondée par de l’eau remontant du sol. Alors, méthodiquement, il remplit des seaux qu’il vide à l’extérieur. Cela n’a aucune efficacité, mais que faire d’autre ? A quelques mètres de sa maison, dans une sorte de cour jonchée de toutes sortes de détritus (car chacun vide ses poubelles au plus près de chez lui), Om Bassiouni prépare le pain qu’elle veut cuire dans son four improvisé. Mais la pluie empêche un temps au feu de prendre ce qui aura le don de la mettre hors d’elle-même. Nous nous retrouvons aussi, comme les habitants du quartier, dans l’épicerie de Mohamed qui viennent ici faire quelques achats mais surtout prendre le thé et commenter ce film qui est en train de se faire. Et Hassan, que l’on peut considérer comme le personnage central du film, celui qui nous guide dans le dédale des ruelles si étroites qu’on ne peut s’y croiser. Dans le deuxième épisode, il évoque sa « fiancée décédée ». Il garde précieusement des souvenirs d’elle. Des cartes par exemple, en forme de cœur. Des cartes musicales bien sûr, car Hassan est chanteur. Nous l’avons vu officier dans les deux mariages du premier épisode. Quand nous le retrouvons, il fait son service militaire, quatre mois sur les trois ans qu’il doit effectuer. Toutes les semaines, il vient en permission, l’occasion de participer aux fêtes. Un jour, dans une bagarre, il a la joue tailladée à la lame de rasoir. Il ne rejoint pas la caserne et se retrouvera en prison. Nous le suivons chez le médecin qui lui enlève les points. Il gardera une cicatrice sur le visage. Hassan est le personnage central de Cœur. Il fréquente la plage où il se baigne parmi une foule où domine les enfants.

         Toute une foule de petits ou de grands événements de la vie de cette communauté, naissance, fiançailles, mariage, séparation, fête. La fin du film ne montre pas la destruction du quartier, mais on sent bien qu’il ne peut s’achever que par la dispersion de la communauté elle-même tant les liens qui existent entre ses membres sont forts, comme ceux que la cinéaste a tissé avec eux tout au long des deux années qu’a duré le tournage.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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