Le monde merveilleux des youtubeuses. Sylvie Deleule, 2017, 53 minutes.
En 2017, Sylvie Deleule réalise se qui est sans doute le premier film consacré au phénomène des influenceurs. Ou plutôt des influenceuses, car se sont majoritairement des filles, des filles jeunes, souvent même très jeunes. Un phénomène qui à cette époque n’est pas totalement nouveau. Mais il n’est pas vraiment connu du grand public. Le film de Sylvie Deleule contribua fortement à le faire sortir du seul cercle des initiés.

Ces influenceuses sont d’abord des youtubeuses. Il s’agit au départ de poster sur you tube, le plus régulièrement possible, des vidéos faites de façon artisanale, souvent avec les moyens du bord, où l’adolescente se met en scène et parle, le plus simplement possible, de sa vie quotidienne, de ses passions, de ses envies et de ses soucis, le tout concernant prioritairement son apparence physique, des questions de beauté en quelque sorte. Puis après avoir créé une chaîne, il suffit de compter le nombre d’abonnés (les fameux followers) et le nombre de vues par jour ou par mois. Et là, tout est possible. Il y a celle dont le nombre de followers se chiffre en centaines de mille voire en millions. Et celle qui ne totalise que quelques dizaines de mille, loin en tout cas des scores faramineux réalisées par les stars du système. Pas étonnant alors que ces dernières aiguisent les appétits des entreprises de produits de beauté. Les youtubeuses deviennent influenceuses, et peuvent même pour celles qui réussissent le mieux en faire leur métier. Quant aux entreprises elles ont vite fait d’intégrer le phénomène dans leur stratégies commerciales. Les posts des gentilles adolescentes deviennent des publicités plus ou moins cachées. Et pour certaines, l’argent coule vite à flot.


Le film de Sylvie Deleule constitue une synthèse remarquablement documentée du phénomène. De la dimension économique aux problèmes éthiques, on passe en revue tous les aspects de la question. Prenant pour fil rouge une de ses stars – Léa, 20 ans, 6 ans de présence sur you tube – il ne néglige pas pour autant celles qui ont une position plus modeste. Mais le portrait fait de Léa peut interroger. Tout est fait dans le film (on la voit souvent en compagnie de son agent qui bien sûr veille au grain) pour qu’elle paraisse dominer parfaitement la situation, notamment dans sa relation avec les marques. Devenue une star dans ce monde où la naïveté n’est certainement pas la vertu première, elle affirme ne pas avoir perdu son âme et rester fidèle à ses options premières. Ce qu’elle fait, elle le fait toujours par plaisir et revendique son désintéressement. On pourrait cependant en douter quand on entend les représentants du système qui se gardent bien de donner des chiffres sur l’argent mis en jeu et sur les techniques de ce marketing nouveau. Mais qui semblent de plus en plus omniprésents. Notamment dans l’organisation de ses salons et autres manifestations déplaçant des foules de jeunes adolescentes, capables de faire des heures de queue pour pouvoir obtenir un autographe de leur idole, faire un selfie avec elle et – quelle joie, c’est à pleurer – la prendre dans ses bras pour un doux câlin.

Décidément, les influenceuses n’en ont pas fini d’envahir les écrans des smartphones et les rêves des adolescentes.