Ici Brazza. Antoine Boutet, 2023, 86 minutes.
Cette ville, c’est Bordeaux. Oh, pas le centre-ville, avec son quartier historique et ses monuments d’un autre siècle. Pas la proche banlieue non plus. Un Bordeaux inconnu, lointain tout en étant si proche, sur la rive droite de la Garonne. Un quartier laissé à l’abandon, devenu un terrain vague – ou peut-être l(a-t-il toujours été -, une friche pseudo industrielle, mais il y a sans doute bien longtemps qu’il n’a plus rien de productif. Un quartier abandonné aux ronces, aux herbes folles et aux fleurs sauvages. Un quartier où peuvent vivre des personnes âgées, ou des SDF, ou des squatters, ou des gens du voyage, relégués ici parce que refoulés de la ville proprement dite. Ce quartier est dénommé Brazza ! Une survivance du passé colonial de la ville.
A Bordeaux, Brazza est l’objet d’un grand projet de rénovation et d’aménagement urbain. Un projet que ses promoteurs voudraient bien voir qualifié avec des superlatifs. Un projet que le film d’Antoine Boutet va suivre de A à Z, depuis les premiers repérages sur plan jusqu’à l’arrivée des premiers habitants dans les immeubles flambants neufs.
Ici Brazza est un film d’images, où dominent les plans fixes. Des plans plutôt calmes, malgré des mouvements de foule, parfois (le départ du marathon) ou des ballets de grues dessinant des compositions de lignes dans le ciel. Le chantier lui-même n’a rien de tonitruant. Pas même la destruction à coups de bulldozer d’anciennes bâtisses. Tout à l’air de se passer dans le calme – on l’indifférence – des passants. Seules les grandes affiches publicitaires vantant, tout sourire, la joie de vivre dans ce monde en construction, ou les séquences en images de synthèse servant aux présentations du projet, semblent échapper à l’inertie ou à la fatalité. L’avenir sera sans doute glorieux, à force de le proclamer tel.
Le film nous donne aussi un aperçu de la vie bordelaise. Le marathon ou la fête sur les quais avec sa musique techno, ses danses de jeunes et son feu d’artifice. Les images laissent entre-apercevoir quelques monuments, la place de la Bourse par exemple, ou dans le lointain des constructions plus modernes, la cité du vin ou le nouveau pont Chaban-Delmas. Les drones sont de la partie pour survoler les taillis avant le début des travaux ou pour montrer la progression du chantier.
Mais il y a aussi une vie propre à Brazza, celle des squatters, des sans-logis qui trouvent ici un refuge précaire, et un camp de gens du voyage avec leurs vieilles caravanes. Boutet tente de filmer l’évacuation du camp, mais un policier ne tarde pas d’intervenir. « Avez-vous une autorisation ? Vous n’avez rien à faire ici. » Le cinéma n’a pas droit de cité dans le monde des grands projets urbanistiques. En tout cas il devrait laisser de côté tout ce qui pourrait ternir l’image de sérénité que les promoteurs ont un peu de mal à maintenir jusqu’au bout.
Le film pourtant ne prend pas partie et laisse le spectateur se faire son opinion sur le bienfondé de l’opération. Pas de rejet ou de critique systématique donc. Pas de glorification du progrès et de la modernité non plus. Le cinéaste ne cherche pas à accumuler les argument dans un sens ou dans l’autre. Mais les premiers habitants des immeubles ressemblent presque à des fantômes. Un plan filme une terrasse vide où une cigarette allumée se consume dans un cendrier. Où sont les jeunes cadres dynamiques que nous montrait la publicité ?
Cinéma du réel, Paris, 2023.