PORTRAIT DE CINEASTE – Marker Chris.

Cinéaste français (1921 – 2012)

Il y a dans toute présentation de l’œuvre de Chris Marker deux passages obligés : l’énumération de ses nombreuses activités tout au long de sa longue carrière créatrice et l’éloge de La Jetée. La Jetée est cette œuvre tout à fait à part dans l’histoire du cinéma. Film culte par excellence, d’une forme inédite au moment de sa réalisation (1961) et jamais égalée ni même imitée depuis, ce petit film de 20 minutes, réalisé au banc titre à partir de photographies (mais tout cinéphile sait qu’il comporte quand même un plan animé (mais un seul), mêlant science-fiction traditionnelle (l’après troisième guerre mondiale nucléaire) et paradoxe temporel, Sans oublier de le considérer comme un remake du Vertigo d’Hitchcock. La Jetée a en plus le prestige d’être la seule fiction réalisée par son auteur (ou du moins c’est ce qui est dit couramment, oubliant L’Ambassade !) Film unique donc, dont l’existence seule nous porte à nous interroger au-delà de sa place dans l’œuvre de Marker, sur la nature du cinéma dans son ensemble et en particulier sur sa dimension « documentaire ».

         Si Chris Marker n’est certes pas qu’un « documentariste », et surtout pas un banal documentariste, il ne peut non plus être identifié seulement comme cinéaste. Il n’est donc pas possible d’échapper à l’énumération des multiples facettes du personnage, au risque d’oublis impardonnables, mais inévitables, qui seront autant de véritables hommages envers quelqu’un qui s’est plu toute sa vie à cultiver le secret et l’art de la diversion.

         Chris Marker est donc connu pour avoir réalisé un nombre impressionnant de films documentaires et une fiction, mais il a aussi été écrivain, essayiste, éditeur, photographe, vidéaste, artiste multimédia…

         Dans son œuvre « documentaire », Chris Marker n’est pas moins insaisissable par la diversité et le plus souvent l’originalité de son travail. Néanmoins certaines pistes, plus visibles que d’autres, sont repérables et peuvent donc servir de guide.

         Marker est un cinéaste engagé. Du côté des révolutions. Il en suivra les espoirs, en Russie ou en Chine et jusqu’à Cuba (Cuba si, 1961), mais aussi les désillusions, du stalinisme à la bureaucratie soviétique. Marker n’a jamais été aveuglé et le pire pour un cinéaste est bien de devenir aveugle. S’il retrace dans Le Fond de l’air est rouge (1977) l’histoire des mouvements qui ont ébranlé le XX° siècle, c’est bien pour que n’en soit pas oublié le côté sombre. Comme il le dira dans Sans Soleil à propos de la Guinée Bissau, c’est quand la révolution est faite que tout commence.

         Des engagements politiques de Chris Marker on retiendra son action contre la guerre du Vietnam qui se traduisit cinématographiquement parlant par la coordination et le montage du film collectif Loin du Vietnam, (1967), premier projet de la coopérative Slon qu’il vient de créer, puis par la réalisation d’un long métrage retraçant la contestation et les manifestations américaines, centrées sur la grande marche à Washington, contre cette guerre (La Sixième face du Pentagone, avec François Reichenbach, 1968). En France il sera très présent dans les luttes ouvrières des années 60-70, devenant un des instigateurs et le fer de lance des Groupes Medvedkine, à Besançon et Sochaux.

         Cinéaste, Chris Marker est aussi écrivain, comme en témoigne l’ensemble des commentaires qui donnent à ses films ce ton inimitable. Inaugurée dans un de ses premiers films, Lettres de Sibérie, la forme épistolaire deviendra une de ses marques de fabrique avec Sans Soleil et Le Tombeau d’Alexandre. Une maîtrise de la languequi justifie pleinement le bon mot attribué à henry Michaux ! « Il faut détruire la Sorbonne et mettre Chris Marker à la place. »

         Chris Marker ne donnait pas d’interview et il n’existe pratiquement pas de photo publique du cinéaste. Sauf une, peut-être, qu’Agnès Varda nous montre sous le sceau de l’exclusivité dans Les Plages d’Agnès. Dans son feuilleton culturel, Agnès de ci de là Varda, elle entreprend une visite de l’atelier de Marker, montrant la profusion de machines électroniques et l’enchevêtrement des fils qui les relient. Nous entendons la voix de Chris, mais nous ne voyons que ses mains. Jamais son visage. Et la silhouette qui nous est présentée n’est que celle de son avatar dans Second Life. Chris Marker est bien le premier cinéaste virtuel. Un cinéaste passionné par les nouvelles technologies de son époque, comme en témoigne le film Level five et surtout le cdrom Immémory.

Tout ceci montre que la renommée de l’œuvre de Chris Marker dépasse largement le cercle plutôt étroit des spécialistes du cinéma documentaire. D’ailleurs, à sa disparition en juillet 2012, c’est toute la presse quotidienne qui lui a rendu hommage. Libération lui a même consacré sa Une et Le Monde deux pleines pages. Et comment ne pas mentionner l’étonnement qu’a pu susciter au promeneur parisien la vue d’un graffiti en lettres noires sur un mur blanc d’une rue du marais : Chris Marker 2021 – 2012. A Tokyo, le bar « La Jetée » a du lui aussi vibrer d’une sincère émotion.

Parmi les nombreux textes de Marker, nous ne retiendrons qu’une citation, indispensable : «Personne n’aime le mot documentaire. Le problème c’est que l’on n’a pas trouvé mieux pour désigner un ensemble de films dont on sent qu’ils ne sont pas tout à fait comme les autres. »

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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