. Cinéaste hollandais. (1998 – 1989)
L’œuvre de Joris Ivens, si rarement diffusée en salle, est enfin accessible au plus grand nombre grâce à la remarquable édition de deux coffrets regroupant 5 DVD au total. L’occasion rêvée de (re)découvrir ce cinéaste d’origine hollandaise, habituellement classé comme documentariste, ou mieux encore, comme cinéaste engagé, contre la guerre au Vietnam d’abord et auprès de la révolution culturelle chinoise ensuite. Une vision stéréotypée qu’il est temps de revisiter de près.
Et d’abord parce qu’Ivens n’a pas réalisé que des films politiques. Ce que nous offre le premier DVD, ce sont des films qualifiés de poétiques, qui se caractérisent avant tout par le travail sur la qualité des images, que ce soit dans le choix des cadrages ou dans la beauté esthétique du noir et blanc. En voici quelques exemples.
Etude de mouvements à Paris (1927). Des bus et des voitures qui foncent sur nous. Devant l’Opéra ou sur les boulevards. Vus de dessus, ou de côté, avec déjà la fumée des pots d’échappement. Les agents à cheval qui essaient de régler tout ça. Et sur les trottoirs ou sur le bord des rues, les passants, pressés, ou qui essaient de traverser sans trop prendre de risques. C’est qu’il y a beaucoup de circulation, et même des embouteillages ! Tout au long du film, la variété des cadrages est saisissante. Depuis les plans fixes au bord du trottoir jusqu’aux panoramiques suivant les véhicules devant les arcades de la rue de Rivoli, en passant par les caméras embarquées dans les taxi, qui préfigurent en quelque sorte les caméras subjectives. En 4 minutes, on comprend ce qu’une ville comme Paris a d’éternel : le mouvement, on dirait même mieux, l’agitation ou la trépidation de la vie. Comme s’il n’y avait jamais eu de Paris sans automobiles !
La pluie (1929). Au commencement les nuages dans le ciel, et le vent qui pourrait les disperser mais qui au contraire les accumule. Les gouttes d’eau se multiplient sur l’asphalte et les canaux. Les parapluies font leur apparition, jusqu’à occuper tout le cadre comme dans ce magnifique plan d’une rue, en plongée, où les passants abrités sous leur toile ne semblent être là que pour l’harmonie du tableau. Tout au long du film on pense au poème d’André Breton : « la pluie seule est divine ». Un film qui peut vous réconcilier avec le mauvais temps. Le DVD propose en compléments deux versions du même film avec accompagnement musical. Une bonne occasion d’appréhender l’apport que peut avoir la musique sur les images et de réfléchir à leur adéquation.
Le pont (1929) et Symphonie industrielle (1931). Il y a dans tous ces premiers films une fascination pour la vie moderne. Les moyens de transport sont omniprésents, des automobiles aux trains à vapeur, sans oublier les bateaux. De même les constructions où l’acier domine, ou les engrenages et autres mécanismes sophistiqués, détaillés avec minutie comme ceux qui permettent au pont de s’élever dans les airs. Cet éloge de la mécanisation et au-delà de la vie industrielle culmine dans le film consacré aux usines Philips. Toutes ses activités sont approchées et décrites avec toujours autant de précision, de la fabrication d’une simple ampoule au montage des appareils radio ou autres électrophones. Mais dans cet univers mécanique, la présence humaine n’est pas oubliée. Filmer l’entreprise c’est aussi s’arrêter sur le travail des ouvriers. Le Joris Ivens cinéaste engagé et militant n’est pas loin.
La Seine rencontre Paris (1934). Un cinéaste sans inspiration aurait fait un documentaire banal : en suivant le parcours du fleuve, en s’arrêtant sur ses usagers, des pécheurs aux péniches, en filmant en travelling et en contre-plongée les immeubles des quais et les monuments, avec les inévitables plans sur la Tour Eiffel et Notre Dame. Il y a bien tout ça dans le film d’Ivens. Sauf que la banalité et le convenu est ici magnifié par la poésie des images et un montage qui semble toujours aller de soi mais qui justement tire sa force de cette simplicité apparente. La Seine d’Ivens, c’est la confrontation du dur labeur des ouvriers et des déambulations des amoureux. En 1934, le cinéma n’est plus muet. Ici le commentaire est signé Jacques Prévert et il est dit par Serge Reggiani. La dimension poétique de cette première partie de l’œuvre du cinéaste trouve ici sa consécration. Dimension poétique que l’on retrouve dans des œuvres ultérieures, comme Pour le Mistral (1965) ou son dernier film, Une histoire de vent (1988), tourné en Chine dans une perspective qui n’est plus vraiment dans la lignée de ses travaux politiques puisqu’il s’agit plutôt d’un regard très personnel sur ce pays qu’il a tant aimé.
Son engagement en faveur des revendications sociales s’exprime en premier lieu dans un film qui reste une référence du cinéma de dénonciation de la misère et des inégalités, Misère au Borinage (1933), réalisé en collaboration avec le cinéaste belge Henri Storck. De son côté, A Valparaiso, en grande partie grâce au commentaire de Chris Marker, n’en reste pas à une vision touristique pour aborder la réalité vécue des habitants de cette ville mythique.
Surnommé « le Hollandais volant », Joris Ivens sillonne le monde et l’on retrouve sa caméra sur une multitude de lieux de conflits sur la planète, toujours du côté des pauvres et des opprimés. L’Espagne en 1937 pour un film de soutien à la République Espagnole avec un commentaire d’Ernest Hemingway (Terre d’Espagne). En 1939 il est en Chine, déjà, pour filmer la résistance à l’occupation japonaise (Les 400 millions). A partir de 1968 commence une longue collaboration avec sa compagne Marceline Loridan, elle-même cinéaste. Ils réalisent ensemble ce qui reste un des grands films sur la guerre du Vietnam, Le 17° parallèle (1968), où ils montrent l’organisation de la lutte des Viêt-Cong avec qui ils ont vécus de longs mois. Pendant la révolution culturelle maoïste ils sont à nouveau en Chine et réalisent Comment Yukon déplaça les montagnes (1976) où ils essaient d’en montrer les aspects positifs.
Ivens restera sans doute dans l’histoire du cinéma documentaire comme l’exemple type du cinéaste engagé dans les luttes populaires d’inspiration communiste. Il n’en reste pas moins que ses films possèdent tous une grande force cinématographique.
