A l’hôpital

Hospital. Frederick Wiseman, Etats Unis, 1969, 84 minutes

Combien de temps passe-t-on dans cet hôpital ? Quelques heures, quelques jours, des semaines ? Peu importe. C’est toujours une éternité. Une éternité de souffrance. Aux côtés des malades, des blessés, des agonisants. A côté de la mort, même si on ne la voit pas. Même si on ne la nomme surtout pas. Mais elle est là, qui rode. Horizon quotidien de la médecine hospitalière.

Le film de Wiseman a été réalisé il y a plusieurs décennies. En 1969 pour être précis. Depuis, sans doute, bien des choses ont dû changer dans l’hôpital. Les techniques chirurgicales sans doute, les diagnostiques et les médicaments. Mais là aussi, cela importe peu. La vision du cinéaste n’est pas historique. Elle n’est pas purement factuelle non plus. Il ne s’agit pas d’un simple regard sur l’état de la médecine à un moment donné. Le film nous montre, concrètement, ce que soigner veut dire, et guérir. Ici et maintenant. Mais aussi ailleurs, toujours. Partout où des hommes et des femmes se dévouent pour sauver d’autres femmes et d’autres bommes, pour alléger leurs souffrances, pour les rassurer. Non, ici vous n’allez pas mourir.

Ce que nous montre Wiseman, avec cette méthode qui deviendra emblématique au fil des films, c’est la diversité des situations. Nous passons d’un malade à l’autre, d’un soignant à l’autre, sans transition, parfois sans qu’on s’en aperçoive. Mais c’est cette continuité qui fait l’universalité du propos. Face à la maladie, face à la souffrance, il n’y a qu’une attitude à adopter, le soutient, l’empathie, l’aide. La souffrance ne se partage pas. Mais elle s’écoute. Et s’il n’est pas possible de la soulager immédiatement, il faut montrer qu’elle n’est pas définitive, qu’elle ne peut pas être éternelle. La médecine ne baisse jamais les bras.

Ce que nous donne Wiseman, c’est une grande leçon d’humanité. Rarement, l’immersion dans un lieu, dans une institution, n’aura été aussi efficace. Pour nous rendre proche de l’être humain. Des hommes et des femmes dépourvus de leur statut social. Et même de leur identité. Et c’est pourquoi les gros plans de visages sont si fréquents. Ils ne sont plus que des patients qui attendent tout de l’hôpital. Qui en attendent la vie.

Malgré tout, le contexte global ne peut pas être totalement gommé. Il y a dans les couloirs, dans les chambres, des personnes dont on ressent le dénuement face à la maladie, mais aussi face à la vie dans son ensemble. Il y a beaucoup de personnes de couleur dont la pauvreté est évidente. Il y a aussi très souvent des policiers, ceux qui ont conduit ici les victimes d’agressions par exemple. Façon de renvoyer à la violence de la société. Et les bâtiments eux-mêmes ne respirent pas la première fraicheur.

Il n’y a pas ici, contrairement à ce qui deviendra une des marques de fabrique des films de Wiseman, des plans de coupe sur le quartier, sur la ville où se situe l’hôpital. On ne sort de son enceinte, que dans le plan final, un plan d’ensemble du bâtiment réalisé depuis une voie rapide où défilent les grosses voitures américaines. Si nous sommes ainsi enfermés avec les patients et les soignants, c’est bien parce que nous sommes renvoyés, même en tant que simple spectateur, à notre mort toujours possible. La médecine ne peut vaincre la mort que provisoirement.

Un film qui ne cherche à procurer aucun plaisir. D’ailleurs il est réalisé dans un noir et blanc terne, sans éclat, presque sans nuance. Il n’y a pas de pose café pour le personnel. L’hôpital fonctionne sans interruption. Façon de dire qu’il n’y a pas de crise du système hospitalier. Ou du moins que ce n’est pas le propos du film. Il n’évoque nullement des manques de moyens et les difficultés de réalisation de la mission qui lui est confiée. Comme ce sera le cas par exemple dans le film de Stéphane Mercurio au titre évocateur, Hôpital au bord de la crise de nerf. Mais c’est sous d’autres cieux et à une autre époque.

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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