Une cinéaste allemande.

Leni Riefenstahl, la lumière et les ombres. Andres Veiel, Allemagne, 2024, 115 minutes.

Le Triomphe de la volonté, Les Dieux du stade, deux films mondialement connus, deux films à succès dans une période troublée. Deux films qui ont fait connaître son autrice, Leni Riefenstahl, une des personnalités les plus controversées du XX° siècle. Deux films commandés par le régime nazi qui venait d’accéder au pouvoir et sans doute par Hitler lui-même. Sont-ils des films de propagande, au service du Führer et de ses idées racistes et antisémites ? Mais doit-on pour autant nier leur valeur artistique. Bref nous sommes au cœur d’un problème récurrent dans l’Intelligentsia allemande et européenne. L’art et la politique peuvent-ils être dissociés. Peut-on considérer des œuvres, notamment cinématographiques, uniquement d’un point de vue esthétique sans se soucier du contexte politique et historique dans lequel elles ont vu le jour. ? Dans le cas de Leni Riefenstahl, en quoi ses relations personnelles avec Hitler et autres dignitaires du régime doivent-elles être prises en compte dans l’estimation de ses films ?

Et bien sûr, il est inévitable de juger la personne elle-même.

Le film que lui consacre Andres Veiel est-il un portrait à charge ? Ou bien une tentative de dédouaner l’autrice, de la justifier, de l’excuser de ses comportements et de ses idées troubles ?

Le film, posant clairement ce problème, peut être plutôt considéré comme le prototype même du cinéma d’investigation. Il met systématiquement sur la table toutes les pièces disponibles, et elles sont nombreuses, tirées des archives d’époque, mais aussi des archives personnelles, photos, lettres, conversations téléphoniques, interventions sur des plateaux de télévision…

Nous pouvons alors suivre Leni Riefenstahl tout au long de sa longue vie, jeune aux côtés d’Hitler et autres nazis ; plus âgées, à la télé, où elles se défend avec beaucoup de véhémence des accusations portées contre elle. Et jusqu’au Soudan où, à la fin de sa vie, elle semble se réfugier auprès des tribus autochtones. Elle y réalise d’ailleurs des photographies qui, publiées en livre, connaitront un grand succès.

Les arguments qu’elle mobilise pour sa défense ne varient guère : elle rencontre le nazisme à une époque où dit-elle, la presque totalité des Allemands lui était favorable. Et elle n’avait ni la force, ni la volonté d’ailleurs, d’être une résistante. Elle n’a donc jamais dénoncé ni la guerre et ses horreurs, ni l’holocauste. Ignorait-elle vraiment l’existence des camps et des chambres à gaz ? Elle affirme n’avoir jamais prononcé de paroles antisémites. Mais son intimité avec Hitler reste suspecte. Et les lettres qu’elle lui a écrites laisse quand même penser qu’elle partageait plutôt ses idées. Les deux films cités, véhiculent des valeur – le culte du corps, de la victoire, de la supériorité du gagnant – qui ne sont pas étrangères au nazisme. Tout ceci ne peut être ignoré.

Le film mobilise beaucoup de manifestations de soutien de la part d’Allemands, faisant de Leni Riefenstahl une victime innocente et presque une gloire nationale. Mais au final, il ne prend pas explicitement parti dans le débat, laissant le spectateur prendre position en son âme et conscience – et selon ses propres convictions politiques.

D’un autre côté, le film de Andres Veiel repose sur un magnifique travail de post-production. Retrouve-t-il ainsi la beauté des images du premier film de Leni Riefenstahl, cette « Lumière bleue » dont elle s’est toujours sentie fière. Il y a en tout cas dans le film une volonté manifeste de la prolonger. On le voit, parler de Leni Riefenstahl aujourd’hui est un véritable défi aussi bien historique qu’esthétique.

Prix de la compétition documentaire d’Histoire du cinéma. Festival International du Film d’Histoire, Pessac 2024.

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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