La Jungle, toujours.

Calais-Douvres, l’exil sans fin. Julien Gaudichaud, 2024, 51 minutes.

Gagner l’Angleterre à tout prix, même dans les pires conditions. Pour cela, ils sont prêts à tout. Perdre toutes leurs économies pour payer les passeurs – un trafic lucratif. Et ne pas regarder les dangers de la traversé, sur des embarcations de fortune, comme des kayacs et même, un canoé d’enfant en plastique. Et braver la police et ses rondes pour tenter d’endiguer le phénomène.

Nous sommes à Calais, longtemps célèbre, tristement, pour sa jungle. Elle a été détruite, mais elle renaît en quelque sorte sous la forme de petits campements éphémères. Les migrants sont encore nombreux, bloqués là en attendant la possibilité de s’évader vers cette terre promise qui souvent n’apporte que déception. Une issue de plus en plus prévisible. Mais pour l’instant, le film de Julien Gaudichaud s’attache à vivre avec ces migrants qui veulent demander le droit d’asile en Angleterre ? La folle aventure de la traversée de la Manche.

De Julien Godichaud, nous connaissons déjà le remarquable Confinés dehors, la vie des SDF pendant le confinement dû au COVID-19, qui n’ont pas d’autre moyen que de vivre dans la rue, comme toujours, cette période particulière, une rue vide de ses voitures, de son effervescence, de toutes ses activités. Ce qui nous vaut des plans stupéfiants qui, avec le recul, ont une allure de science-fiction.

Puis. Il réalisera un autre film , « Au clair de la rue » (2023), mettant en scène des déclassés, des miséreux, des marginaux mais qui ont trouvé une raison de vivre et d’avoir une vie sociale, dans une chorale, la « Cloche » qui rayonne de joie et d’espoir. Deux films présentant des rencontres souvent émouvantes avec ces personnages d’une autre vie dont on découvre la profonde humanité. Les migrants de Calais. Iraniens, Afghans, Soudanais, Pakistanais, etc. sont de ceux-là. Julien les fréquente longtemps, 7 ans, nous dit-on, pour devenir leur ami, gagner leur confiance et les filmer en toute liberté.

Le cinéaste se lit avec quelques-uns de ces réfugiés. Épuisés par le long et difficile voyage à travers tant de pays qui les a menés là dans l’attente de l’opportunité qui ouvrira la porte de cet autre monde où ils est rêvent d’avoir une vie de famille, une maison, un travail, une vie sereine, une vraie vie.

Il rencontre aussi les « petites mains », ceux qui ayant souvent échoué dans la traversée, sont recrutés pour faire la sale besogne, rassembler les candidats au voyage, préparer le bateau, un zodiac de 6 ou 9 M, procéder à l’embarcation. Et pour cela, il faut savoir écarter les candidats en surnombre car ils sont toujours plus nombreux. Et même si les bateaux sont toujours surchargés, tous ne peuvent pas monter à bord. Et puis. Ils doivent aussi savoir naviguer. On leur confie alors la direction du bateau.

Le vrai passeur, celui qui commande tout, et qui, lui, s’enrichit considérablement, n’est jamais sur les lieux. Il n’agit qu’à distance. Mais Gaudichaud réussi à interviewer l’un d’eux, dans l’anonymat, bien sûr. Ses propos font froid dans le dos. On s’attendait bien sûr à ne rencontrer qu’une indifférence à la misère humaine. Mais tant de cynisme ne peut être que révoltant.

Fort de ses connaissances, le cinéaste réussi à obtenir le droit de s’embarquer avec un groupe de migrants sur une de ces embarcations lancées dans la traversée de la Manche. Il peut filmer au cœur du drame, la voie d’eau dans le bateau, les efforts des migrants pour écoper l’eau avec la menace bien présente de sombrer. Et la délivrance concrétisée par un bateau d’une association anglaise spécialisée dans l’aide aux migrants.

Le film se consacre alors à la description de la vie de ceux qui ont réussi à entrer en Grande-Bretagne. Certains ont obtenu des papiers, un travail, fondé une famille et vivent dans une maison. Mais pas tous. Il semble au contraire que la majorité reste en attente. En attente toujours, une attente longue, incertaine, désespérante, au point que beaucoup rêvent de regagner la France. De refaire cette traversée pleine de risques et de souffrances. Comme le dit le titre du film, l’exil n’a jamais de fin.

Les films consacrés à la jungle de Calais et à sa destruction sont nombreux. On ne peut pas ne pas citer parmi eux le fabuleux film de Nicolas Klotz et Élisabeth Perceval L’Héroïque lande. La frontière brûle. (2017)

Ici, Gaudichaud ajoute un nouvel épisode, la désillusion de ceux qui arrivent à traverser et qui rêvent de revenir en France. Il souligne le côté dramatique de notre époque, l’absence de solution réelle au problème de ceux qui fuient leur pays en guerre dans l’espoir de vie meilleure.

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Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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