Des danseuses et des danseurs, des chorégraphes.
Des ballets, des spectacles, des répétitions, des créations.
Un art.
1 Les grandes institutions : L’American Ballet theatre de New York et le Ballet de l’opéra de Paris
Ballet de Frederick Wiseman.
Frederick Wiseman a réalisé deux films sur la danse. Le premier, Ballet, en 1995, à New York, consacré à l’American Ballet Theatre. Le second à Paris concerne le ballet de l’Opéra de Paris (La Danse, le Ballet de l’Opéra de Paris, 2009). Il y a bien sûr des similitudes entre les deux films, dans la façon de filmer, cet art du mouvement qu’est la danse. Mais il y a aussi des différences, tenant en grande partie aux lieux d’ancrage des deux troupes et de tournage des deux films, New York et Paris.
On trouve déjà dans Ballet la volonté de filmer le plus précisément possible, et le plus complètement, la vie de la troupe New-Yorkaise en ne laissant de côté ni les problèmes d’organisation – les planning et le recrutement – ni les finances. Wiseman filme donc l’administration mais aussi le travail plus obscur des techniciens, des couturières, maquilleuses et coiffeuses, et jusqu’au personnel d’entretien des locaux. Mais bien sûr c’est la danse elle-même qui occupe la première place, des échauffements avant toute chose, les entrainements et les répétitions. L’apprentissage des ballets avec les chorégraphes. Et la vie des coulisses où l’on se détend, se concentre, se maquille et pratique ses exercices d’assouplissement. Une vie collective où l’ambiance est toujours au sérieux. Pour les danseuses et danseurs, le spectacle est d’abord une affaire de travail. Il s’agit d’abord de dompter son corps et ensuite de suivre scrupuleusement des directives des chorégraphes et autres chefs de ballet. Ce qui implique de recommencer sans cesse le même geste, le même pas et le même enchainement.
La Danse. Le Ballet de l’Opéra de Paris, Frederick Wiseman.
Un film consacré à la danse, mais aussi à cette troupe unique de danseurs (les étoiles, les premiers danseurs, le corps du ballet) et, comme on doit s’y attendre avec Wiseman, l’Opéra en tant qu’institution artistique dont il aborde tous les aspects du fonctionnement, s’intéressant à tous ceux qui ne dansent pas, mais qui travaillent pour la danse.
La Danse. Le ballet de l’Opéra de Paris est un film caractéristique de la méthode cinématographique de Wiseman. Celui-ci filme avec une précision quasi maniaque l’ensemble de l’institution, détaillant les bâtiments (le Palais Garnier surtout, mais aussi l’Opéra Bastille) entrant dans les coulisses et auscultant à la lettre leurs entrailles, descendant dans les sous-sols ou même les égouts et montant sur le toit du Palais Garnier pour y découvrir un apiculteur s’occupant des ruches qui y sont installées. Dans le bâtiment il suit les couloirs, monte des escaliers interminables, jette un œil par les fenêtres rondes ornées de la lyre symbolique. L’institution Opéra, c’est aussi l’administration qui la fait fonctionner. Cette dimension est systématiquement centrée sur la personne de Brigitte Lefèvre, la directrice artistique, omniprésente dans les réunions collectives et que l’on retrouve dans nombre de rencontres individualisées, avec des danseuses, des chorégraphes, des maîtres de ballet ou des représentants de l’American Friends of the Paris Opéra and Ballet. Wiseman n’oublie jamais les anonymes sans qui l’institution ne serait pas ce qu’elle est, les couturières et costumières, les maquilleuses et les coiffeuses, les cuisinières et les hommes d’entretien, et même les peintres qui rafraichissent les murs des couloirs. Et puis, pour qu’il y ait un spectacle digne de la réputation de la maison, il y a des répétitions, incessantes, où les danseurs reprennent inlassablement le même geste, le même mouvement d’ensemble pour arriver à la perfection. Enfin, il nous donne à voir de larges extraits des ballets mis au programme de la saison, Genus, Casse-Noisette, Le songe de Médée, Paquita, Roméo et Juliette, La Maison de Bernada Alba, Orphée et Eurydice.
Comment filmer la danse ? Dans les représentations, Wiseman ne filme que la scène, excluant tout plan du public et ignorant les applaudissements finaux. Il cadre uniquement les danseurs, dans des plans de plus en plus larges lorsqu’il s’agit d’un mouvement d’ensemble et plus seulement d’un pas de deux ou d’un solo. Dans les répétitions, il trouve le moyen de filmer dans le même cadre le danseur et le chorégraphe ou le maître de ballet qui l’observe et le conseille en utilisant souvent le reflet dans le mur de glaces de la salle. Lorsque le chorégraphe est assis dos à la glace, nous le voyons de face et en même temps nous pouvons suivre le mouvement du danseur face à lui. Lorsqu’il s’agit d’un groupe, le plan est souvent fixe, le mouvement des danseurs étant mis en valeur par leurs entrées et sorties du champ. Dans tous les cas, ce sont les corps, les efforts des muscles, qui sont mis en valeur. Pour Wiseman, la danse est d’abord un art physique. Mais l’on sent bien que le mouvement corporel traduit toujours de la pensée. Et c’est cela qui produit de l’émotion.
Relève : histoire d’une création de Thierry Demaizière et Alban Teurlai
Ce film peut être perçu comme la suite de celui que Frederick Wiseman a consacré au ballet de l’opéra de Paris (La danse, le ballet de l’opéra de Paris, 2009 ). Et précisément, il se situe au moment où Benjamin Millepied vient d’être nommé directeur de la danse à l’opéra de Paris, succédant à Brigitte Lefèvre qui occupait ce poste du temps du film de Wiseman. Changement de direction : rupture ou continuité ? Qu’est-ce qui change – ou peut changer ? Dans l’institution. Mais aussi qu’est-ce qui peut être identique – ou différent – dans la façon de filmer la danse et les danseurs ?
En fait le film consacré à Benjamin Millepied montre assez peu sa façon de diriger le corps de ballet de l’opéra. Il se centre beaucoup plus sur son travail de chorégraphe, puisque, comme son titre l’indique, le film suit pas à pas la création de son premier ballet à l’opéra Garnier, “Clear, Loud, Bright, Forward”, ballet qui sera le seul que Millepied montera en tant que directeur de la danse puisqu’au moment où nous voyons le film – et le carton final le précise – nous savons qu’il a démissionné de son poste de directeur, et ce, quatre mois après sa nomination. Nous pouvons alors voir le film en essayant de comprendre le pourquoi d’une si brusque décision. Le film de Thierry Demaizière et Alban Teurlai prend explicitement position. Benjamin Millepied évoque ce qu’il a l’intention de faire évoluer. Il critique la structure pyramidale du corps de ballet, la rivalité instaurée entre les danseurs selon leur place dans la hiérarchie. Une hiérarchie trop pesante, véritable obstacle selon lui à la création. Est-ce cela qui le poussa à la démission ? Le film n’évoque pas les moyens que ce jeune directeur pense mettre en œuvre pour bousculer ce fonctionnement traditionnel de la maison. Il esquive quasiment le problème, même s’il esquisse un film dans le film, non plus un film sur la danse, mais un film sur un corps de ballet, prestigieux, mais qui peut aussi connaître des crises.
Benjamin Millepied est d’abord un danseur et un chorégraphe et le reste en prenant place dans le fauteuil de directeur. C’est là que réside l’originalité du film qui lui est consacré. Un film qui plonge dans l’aventure de la création. Depuis le moment où Benjamin reçoit la partition de la musique sur laquelle il composera son œuvre, jusqu’à la représentation de la première. Une véritable course contre le temps, que le film amplifie d’ailleurs en affichant systématiquement le compte à rebours, en passant par les innombrables répétitions, la création du décor et des costumes, la mise en place de l’orchestre… Le film n’ignore aucun des aspects qui interviennent dans la réalisation du spectacle. Un souci d’exhaustivité qui n’est pas sans rappeler Wiseman.
Reste que le film réussit à nous faire savourer le spectacle de la danse. Essentiellement d’ailleurs dans l’utilisation de gros plans dans les mouvements d’ensemble en particulier, en focalisant notre regard sur les jambes des danseurs. La caméra nous montre leur art comme aucun spectateur dans la salle ne peut le voir. Même si cette vision reste fugace. Le film n’est pas une captation du spectacle. Mais comme celui de Wiseman, il contribue à nous faire aimer la danse.
Opéra de Paris, une saison (très) particulière de Priscilla Pizzato.
La pandémie de covid-19, on n’en verra dans le film que son effet le plus spectaculaire, la fermeture en mars 2020 des cinémas et des salles de spectacles. Ainsi en est-il de l’Opéra de Paris. Les danseuses et les danseurs du célèbre Ballet sont renvoyés chez eux, confinés loin des studios de répétition, loin aussi de la scène et du public. Comment ont-ils vécu de moment tout à fait particulier de leur carrière ?
Le film de Priscilla Pizzato, commence à la fin du confinement. Un confinement que nous ne verrons donc pas, mais qui est omniprésent à chaque instant de ce retour à la normal, qui ne saurait être simplement un retour à la vie d’avant.
Les danseuses et les danseurs, les professeurs, les chorégraphes, reprennent donc le chemin du Palais Garnier. Tous sont bien sûr extrêmement heureux de se retrouver et de pouvoir se remettre au travail. Chez eux, ils pouvaient bien suivre une heure de cours (en visio sans doute, mais personne ne s’attarde sur ce passé qu’on a hâte d’oublier), mais rien ne peut remplacer les 5 à 7 heures de travail quotidien. Il s’agira alors de mettre les bouchées doubles pour rattraper au plus vite, ce qui a été inévitablement perdu.
Ce spectacle, ce doit être la représentation sur la scène de l’Opéra Bastille de la Bayadère de Rudolf Noureev, une œuvre des plus exigeantes pour les danseurs et danseuses. Le film suit toutes les étapes de cette longue et exigeante préparation. Une progression rigoureuse depuis les préparations initiales jusqu’au moments où c’est sur la scène, puis en costumes et dans le décor, qu’il faut réaliser la mise en place de chaque moment. Une chronologie où on sent le stress monter en chacun. Un stress dont il est sans cesse question, comme si c’était là le secret de la réussite promisse. Car bien sûr ce stress, il finira par ne plus se voir même si nous savons, pour l’avoir entendu dire de chacun et chacune de ces artistes, qu’il ne disparaît jamais.
Le film se termine par la première représentation en public après fermeture due à la pandémie. La danse n’a pas disparue pour cause de crise sanitaire.
Plongée dans la création chorégraphique. Portraits de créateurs et créatrices.
Pina Bausch d’abord. Plusieurs films lui sont consacrés.
Un jour, Pina a demandé de Chantal Akerman.
Une rencontre : Pina Bausch et Chantal Akerman ; la danse et le cinéma.
Un film qui commence comme une émission de télévision, en énonçant ce qu’il faut savoir de Pina Bausch et de son œuvre chorégraphique.
Un film qui est, malgré tout, du cinéma ; un film de Chantal Akerman.
Des répétitions, des extraits de spectacles, dans différents lieux, de Venise à Avignon.
Découvrir la troupe du Tanztheater Wuppertal, ses danseurs venus du monde entier.
Des séances de maquillage, caméra immergée au milieu du groupe de danseuses et danseurs.
Et les questions posées aux danseurs : « c’est quoi l’amour ? »
Un hommage à la chorégraphe, un hommage aux danseurs.
La danse, tout simplement.
Pina de Wim Wenders.
Pour Wim Wenders, il n’y a pas de doute, Pina Bausch est une grande chorégraphe, la plus grande peut-être, un génie créatif qui a profondément modifié les bases mêmes de son art et influencé durablement toute la danse contemporaine.
Dans son film, pas d’entretien, pas d’interviews, pas de déclarations personnelles ou médiatiques. Ce sont les danseurs de sa troupe qui nous parlent d’elle. Ils ne font pas une analyse théorique de la conception de la danse de Pina. Ils parlent de leur relation avec elle, de la façon qu’elle avait, tout à fait originale, de les mettre en confiance, de les aider à vaincre leur timidité (un mot que plusieurs prononcent), par une phrase, un geste, sans jamais donner de leçon. Voilà pour la personne.
Côté danse, le film s’efforce de nous montrer la danse de façon originale. Wenders ne pratique pas la captation de spectacle. Il fait vivre la danse de Pina ; De façon cinématographique. Un film hommage, qui fait sortir la danse de la scène théâtrale pour la mêler à la vie.
Les Rêves dansants sur les pas de Pina Bausch de Anne Linsel et Rainer Hoffmann.
Nous partons à la découverte d’adolescents, comme eux partent à la découverte de la danse de Pina. Nous ne sommes pas dans une formation de futurs danseurs professionnels. Nous sommes dans un atelier, un club ou quelque chose de ce type, où il est proposé, à raison d’une séance par semaine, à des adolescents de découvrir une activité artistique et de la pratiquer. Ceux qui sont venus, presque par hasard, ne se connaissaient pas. Ils ne connaissaient pas Pina Bausch, encore moins ses chorégraphies. Ils auraient pu faire de la musique ou du sport. Mais ils restent là, reviennent, se prennent au jeu, s’impliquent de plus en plus dans le projet, un projet dont ils ne mesuraient sans doute pas au départ toutes les dimensions.
C’est que l’activité de la danse qui leur est proposée n’est pas un simple passe-temps d’amateurs. Bénédicte et Jo, les deux danseuses de la troupe de Pina Bausch qui dirigent leur travail sont de vraies professionnelles et d’excellentes pédagogues. Il est vrai qu’avec Pina Bausch elles étaient à bonne école. Ici, elles font répéter inlassablement les mêmes mouvements pour obtenir quelque chose qui, sans le dire, approche la perfection. Mais elles ne découragent jamais ces « enfants », comme elles disent. Surtout lorsqu’ils affirment, surtout les filles, qu’ils n’y arriveront pas, bien au contraire Si la danse est formatrice, c’est qu’exposer son corps à la vue des autres n’est jamais facile pour un adolescent. Se frotter, littéralement, aux autres est encore plus difficile. Car ces contacts contiennent une inévitable violence. Mais une violence constructive. Surtout pour ces personnalités en devenir. Au final, le Kontakthof qu’ils interprètent, mais dont nous ne voyons que des extraits, n’a rien à envier à celui réalisé par des professionnels.
Lorsqu’ils vont rencontrer Pina Bausch pour la première fois, lorsqu’ils vont danser devant elle, ils ne peuvent qu’être particulièrement tendus. Mais très vite, ils se rendent compte qu’elle n’est pas là pour les juger. Elle les remercie, visiblement émue par leur travail, leur dynamisme, leur implication, leur persévérance. Alors elle peut leur donner des conseils qu’ils peuvent entendre comme une aide et non comme une contrainte imposée. Et c’est toute l’œuvre de la chorégraphie qui se pare d’une vertu éducative.
Dernière danse de François Zabaleta.
Une lettre cinématographique composée comme il se doit d’un texte et d’images. Un texte écrit en première personne et dit en voix off par le cinéaste lui-même. Une voix qui chuchote. Sans éclat. Sans aucune saute ni variation. Un fil continu, ininterrompu. Qui pourrait ne pas s’arrêter. Dont la petite musique continue bien après s’être interrompu. Une voix qui s’adresse à une correspondante absente, invisible, une correspondante qui ne recevra jamais la lettre puisqu’elle est écrite après sa disparition. Une lettre qui de toute façon ne pouvait pas être écrite du vivant de sa correspondante. Qui ne pouvait pas lui être envoyée. Qui ne sera donc jamais envoyée. Mais qui deviendra un film.
Une lettre avec des images, en référence à Pina. Paris, place du Châtelet et le théâtre de la Ville où François découvrit pour la première fois la danse de Pina. Puis Wuppertal où Pina ouvrir ses théâtres et établit sa troupe de danseurs. Une longue promenade dans la ville vue depuis un métro aérien. Puis l’œuvre de Pina à travers les programmes et les affiches de ses créations. D’elle on ne verra qu’une photo, en noir et blanc, prise par le cinéaste et affichée dans son appartement. Et de François qu’une photo de dos. Le film s’achève sur la troupe de Pina saluant le public à la fin d’une représentation. Toute l’émotion du film se condense dans cette image où s’inscrit le générique de fin.
Danser Pina de Florian Heinzen-Ziob,
Faire revivre Pina Bausch à travers son œuvre, ses créations, ses chorégraphies. Les faire découvrir et plus, les faire interpréter par de jeunes danseuses et danseurs. Voilà le projet qu’ont élaboré d’anciennes membres de la compagnie de Pina, le Tanztheater Wuppertal. Un projet qui est un véritable défit : vaincre l’oubli, le temps qui passe, et amplifier encore le rayonnement international de la danse à travers l’œuvre de Pina.
Le film de Florian Heinzen-Ziob suit en parallèle deux préparations d’un spectacle, deux reprises de chorégraphies de Pina. En Allemagne, au Semperoper, l’Opéra de Dresde, il s’agira de monter Iphigénie en Tauride de Gluck, qui date de 1974. Alors qu’au Sénégal, à côté de Dakar, à l’école des sables, les danseuses et danseurs vont s’attaquer au Sacre du printemps de Stravinsky. Dans les deux cas il s’agit de jeunes danseuses et danseurs venus d’horizons différents, du Hip hop ou de la danse classique sans oublier la danse contemporaine. Ils vont tous et toutes se confronter au style particulier de Pina, à une rigueur et à des exigences qui demandent une abnégation continue.
Nous suivons donc ces apprentissages dans des répétitions interminables tant la perfection recherchée semble inaccessible. Mais personne ne remet en cause la nécessité du travail, reprendre autant de fois le même geste, le même mouvement, le même enchaînement. Et cela nous donne le plaisir de contempler la beauté des corps et celle des figures de groupe. Des images toujours très travaillées, mais où tout semble naturel, comme allant de soi. Un filmage qui sait se faire oublier pour ne plus voir que l’acte même de création. Et le souvenir de Pina est présent à chaque plan du film comme il inspire chaque instant de danse.
Les chorégraphes du monde entier.
Maguy Marin : l’urgence d’agir de David Mambouch.
La vie et l’œuvre de Maguy Marin. L’œuvre surtout. Mais la vie aussi. Sans trop s’appesantir toutefois sur sa dimension personnelle. Mais puisque le film est réalisé par le fils de la chorégraphe, c’est bien sa vraie vie qui nous est dévoilée, au-delà des étapes de la carrière publique. Une vie consacrée à la danse, à la création, avec ses hauts et ses bas, ses succès retentissants et les scandales aussi bruyants, lorsque l’incompréhension se transforme en intolérance.
Les chorégraphies de Maguy Marin échappent systématiquement aux canons habituels de la danse contemporaine tout autant que de la danse classique. Pas de danseurs et danseuses « étoiles », toujours jeunes. La troupe de Maguy Marin a été constituée il y a plus de 35 ans et elle est restée pratiquement toujours la même. En dehors des décès.
Le film utilise comme fil conducteur la pièce de 1981, May B, une des plus connues de la chorégraphe, écrite en relation avec l’œuvre de Samuel Beckett. L’incipit est d’ailleurs consacré aux longues séances de « maquillage » des acteurs qui enduisent leur visage d’argile. La pièce sera reprise à de multiples occasions, toujours avec cette blancheur des costumes et du décor. Nous en retrouvons des extraits, avec un plaisir grandissant, tout au long du film. Les autres créations de Maguy Marin ne sont bien sûr pas oubliées. Son œuvre est présentée par ordre chronologique. Nous assistons à quelques répétitions mais c’est le plus souvent sur scène qu’elle est donnée à voir. Des entretiens avec les membres principaux de la compagnie Maguy Marin (Ulises Alvarez ou Lia Rodrigues entre autres) concrétisent cette dimension collective si présente dans sa danse. Et puis Maguy elle-même dévoile par petites touches ses convictions politiques, ses espoirs et ses doutes, sa vision de la danse et sa conception du monde. Une expression simple, qui ne cherche pas à théoriser, mais dont la sensibilité est toujours émouvante.
Anna Halprin. Le souffle de la danse de Ruedi Gerber.
« Je vais vous raconter une histoire » Anna Halprin est seule sur scène, à New York, en 2002. Elle a déjà 80 ans, l’âge de pouvoir regarder sa propre vie avec suffisamment de distanciation. Elle esquisse de petits mouvements de danse. De toute façon elle est toujours en mouvement, c’est-à-dire qu’elle danse toujours. Même lorsqu’elle parle, comme ici. Elle raconte une histoire à son public. L’histoire de sa vie. Une vie de danseuse, une vie où la danse est omniprésente, dès les premières leçons à l’âge de cinq ans. Une vie où danse et vie ne font qu’un.
Les images filmées de cette autobiographie dansée jalonneront tout le film, comme les extraits d’entretiens accordés au cinéaste. Et qui a fait un énorme travail de recherche concernant la vie et l’œuvre de la danseuse. Il peut ainsi présenter des photos d’Anna petite fille, dans ses premiers pas de danse. Puis, en les classant par ordre chronologique, des extraits ou des photos des différentes créations de la chorégraphe. Une biographie qui est en même temps une traversée de l’histoire de la danse contemporaine aux USA.
Danseuse, chorégraphe, performeuse, le portrait d’Anna Halprin ne serait pas complet s’il n’évoquait pas son travail d’enseignante. Car c’est bien à partir des innombrables ateliers qu’elle a menés tout au long de sa vie, que ce soit avec des enfants très jeunes ou avec des séniors, qu’a pu se concrétiser une pensée de la danse dont l’influence a été déterminante dans le monde de l’art contemporain.
Anna Halprin et Rodin. Voyage vers la sensualité de Ruedi Gerber
Les danseurs sont dispersés dans la forêt. Les corps nus se mêlent aux troncs des arbres, deviennent branches. Une performance où les spectateurs eux-mêmes sont comme perdus dans le sous-bois. Et le montage alterne les gros plans sur les corps des danseurs et les statues de Rodin filmées en gros plans dans le musée qui est consacré au sculpteur à Paris. Une rencontre entre la danse et la sculpture, une confrontation surprenante au premier abord. Le mouvement d’un côté, l’immobilité de l’autre. Mais la danse peut très bien figer les corps et le cinéma animer les statues. La fugacité, l’évanescence côté danse, la pérennité, l’éternité, côté statues. Mais là aussi le filmage – et surtout le montage – arrive à opérer une quasi-fusion. Les danseurs deviennent des statues, sculptures vivantes, insufflant la vie aux œuvres de Rodin, ou plutôt montrant concrètement que ces œuvres sont vivantes, qu’elles ont toujours été vivantes, animées, c’est-à-dire pourvues d’une âme.
Mr Gaga, sur les pas d’Ohad Naharin de Tomer Haymann.
Après Wiseman et le ballet de l’Opéra de Paris, après Wim Wenders et Pina Bausch, voici un nouveau documentaire consacré à la danse, Mr Gaga, sur les pas d’Ohad Naharin, film israélien de Tomer Haymann consacré au
Le film nous présente la vie d’Ohad Naharin, danseur-chorégraphe directeur de la Batsheva Dance Company de Tel-Aviv, quasiment dans un ordre chronologique, et son œuvre par des extraits de ses spectacles dans une succession qui ne tient plus compte du temps, mais semble plutôt suivre l’inspiration du cinéaste. Celui-ci nous présente donc un portrait, on devrait dire plutôt un autoportrait tant le danseur est présent dans le film, en particulier dans la bande son, puisqu’il fait lui-même le récit de sa vie en voix off. Une façon particulière pour un cinéaste de s’effacer presque complétement au profit de celui auquel il consacre son film.
De la « technique » originale de danse et de formation des danseurs mise au point par Ohad Naharin sous le nom de technique Gaga, le film qui ne se veut pas didactique ne nous en dira pas grand-chose. Il se contente d’en montrer la pratique, dans les extraits de spectacles bien sûr, dans les séances de répétition où les danseurs doivent se plier aux exigences du chorégraphe leur demandant de reprendre un nombre incalculable de fois le même geste, le même mouvement.
L’art, la vie, la politique, trois axes mis en parfaite cohérence dans le film. Ce qui n’est possible que parce que cette cohérence existe fondamentalement dans la personne d’Ohad Naharin.
Dans les pas de Trisha Brown. Glacial Decoy à l’Opéra. De Marie-Hélène Rebois,
Le film de Marie-Hélène Rebois est consacré à l’entrée au répertoire de la célèbre œuvre de Trisha Brown, Clacial Decoy. Une occasion unique de découvrir cette chorégraphe, et danseuse, américaine, décédée en mars 2017.
Mais la cinéaste ne trace pas le portrait de Trisha Brown, et si le film évoque quand même sa personnalité, c’est plutôt de façon indirecte, dans les propos que peuvent tenir quelques-uns de ces proches, et surtout dans la continuation de son travail, entrepris par deux de ses anciennes danseuses, Lisa Kraus et Carolyn Lucas, dans le cadre de l’Opéra de Paris.
Le film est donc une histoire de transmission. Il s’agit de recréer l’œuvre ancienne d’une chorégraphe absente mais dont deux de ses anciennes danseuses vont incarner l’esprit. Une œuvre qui a marqué l’histoire de la danse contemporaine.
Indes galantes de Philippe Béziat.
Une aventure individuelle et collective. Une aventure rare. Une plongée dans l’inconnu. La découverte d’une terre nouvelle. Tout à défricher.
Un metteur en scène qui n’a jamais monté d’opéra. Cinéaste, artiste plasticien, créateur prolixe, Clément Cogitore prend le risque. Dans le film, il apparait calme, mais déterminé. Il théorise le spectacle, l’anticipe. Un visionnaire.
Et tous les autres, du chef d’orchestre aux solistes, des musiciens aux choristes, de la chorégraphe aux danseurs. Tous embarqués dans cette aventure qui restera pour eux inoubliables.
Les danseuses et danseurs justement, qui occupent une grande place dans le film, qui sont en grande partie le nerf de l’aventure, ceux sur qui repose son sens. Et ses possibilités de succès.
Une troupe de danse urbaine, du hip-hop au krump, en passant par le flexing, la break ou le voguing, tous les styles sont convoqués. Des danseurs qui ne sont jamais monté sur une scène d’opéra at qui vont être en quelque sorte chargés par le reste de l’équipe de donner une orientation nouvelle à cet art si souvent inscrit dans une tradition immuable, malgré bien des expériences récentes. Une volonté de renouvellement, d’inscription dans la modernité. Ici, peut-on dire qu’il s’agit de donner un souffle nouveau à l’opéra, de renouveler le baroque, de proposer une renaissance à Jean-Philippe Rameau. « Les danseurs de rue ont pris la Bastille ». Le cliché est facile. Mais il n’est pas faux.
Le film – de façon assez classique – nous plonge dans la préparation du spectacle. Il en suit toutes des phases, jusqu’à la première, en mettant en perspective l’accueil du public (enthousiaste), avec celui de la critique (plus mitigé). Rien n’est laissé de côté. Les interventions du metteur en scène, ou de la chorégraphe, sont brèves, précises et vont à l’essentiel. Plutôt que de proposer des longues interviews, Philippe Béziat a préféré saisir sur le vif les réactions des uns et des autres. Tous sont conscients de l’importance de leur travail. Tous s’y impliquent totalement. Le sens du collectif est véritablement dominant.
Le film insiste pourtant beaucoup sur la place des danseurs et danseuses. Il s’ouvre d’ailleurs sur leur présentation. Une troupe venue des quatre coins du monde. Où chacun et chacune apporte son style et son expérience. Des rencontres passionnantes.
Et l’apprentissage…
Petites danseuses. Anne-Claire Dolivet,
Elles ont entre 6 et 12 ans. Elles partagent la passion de la danse. Une passion et un rêve : devenir danseuse professionnelle, pourquoi pas à l’Opéra de Paris. Même si elles savent d’emblée que toutes ne seront pas élues. En attendant, il leur faut faire des efforts continus, persévérer et s’améliorer sans cesse, être la meilleur dans les concours. Et souffrir, souffrir, pour plier leur corps juvénile aux exigences des mouvements de plus en plus difficiles à exécuter. Et satisfaire les exigences de plus en plus grandes de leur professeure. Et de leurs parents. Un monde de l’enfance qui doit se plier aux dictats des adultes.
Des enfants donc, avec leurs comportements d’enfant, leurs rires et leurs pleurs d’enfant. Un groupe où s’affirment l’amitié et la solidarité face aux difficultés et surtout face aux échecs. Ce sont bien des enfants, lorsqu’elles partagent l’insouciance des jeux Mais ce sont aussi presque des adultes, dans leur détermination à surmonter tous les obstacles. Et ils sont nombreux.
Références
Ballet. Frederick Wiseman, Etats Unis, 1995, 170 minutes.
La Danse. Le Ballet de l’Opéra de Paris, Frederick Wiseman, France – États Unis, 2011, 146 minutes
Relève : histoire d’une création, un film de Thierry Demaizière et Alban Teurlai
Opéra de Paris, une saison (très) particulière. Priscilla Pizzato, 2021, 70 minutes.
Pina. Wim Wenders. Allemagne, 2010, 103 minutes.
Les Rêves dansants sur les pas de Pina Bausch de Anne Linsel et Rainer Hoffmann, 2011, 89 minutes.
Dernière danse, François Zabaleta, 2016, 23 minutes.
Danser Pina. Florian Heinzen-Ziob, Allemagne, 2022, 111 minutes.
Maguy Marin : l’urgence d’agir, David Mambouch, 2019, 108 minutes.
Anna Halprin. Le souffle de la danse, Ruedi Gerber, USA, 2010, 80 minutes.
Anna Halprin et Rodin. Voyage vers la sensualité. Un film de Ruedi Gerber, Suisse, 2015, 62 minutes.
Mr Gaga, sur les pas d’Ohad Naharin, film israélien de Tomer Haymann, 2015, 103 minutes.
Dans les pas de Trisha Brown. Glacial Decoy à l’Opéra. De Marie-Hélène Rebois, France, 2016, 80 minutes.
Indes galantes. Philippe Béziat. 2021 108 minutes.
Petites danseuses. Anne-Claire Dolivet, 202o, 91 minutes.
