Ma première question porte sur votre carrière, votre itinéraire professionnel. Comment êtes-vous devenue productrice ?
Je suis à cheval entre la réalisation et la production. Je savais que je voulais faire des films depuis longtemps, depuis le lycée. Donc j’ai fait un parcours littéraire et cinéma à la fac, c’est là que j’ai commencé à découvrir le documentaire. Particulièrement dans le cadre d’un atelier qui m’a fait un effet assez fort et je me suis dit que j’avais absolument envie de participer à la création de ce genre de films, un peu hors des cadres. L’année qui a suivi, j’ai fait un master professionnel documentaire, à Paris 7, qui m’a permis de toucher à plein de partie de la fabrication : à l’écriture, au son, un peu à la production. Enfin, il y avait vraiment l’idée d’englober la création documentaire. Pour terminer ce master-là, J’ai fait un stage en production chez Norte Productions qui a produit le film Les Habitants. Depuis, j’ai appris avec la productrice Valentina Novati, d’abord en stage et puis ensuite comme responsable de production sur plusieurs films en même temps et petit à petit, ils finissent par se terminer et par sortir en salle. Et on est très fières de montrer Les Habitants aujourd’hui, au festival du film d’éducation.
Pour présenter concrètement cette maison de production, Norte, quelles sont ses principales activités et les films qui ont été produits, et distribués peut-être aussi.
Il y a 2 branches chez Norte, une branche production et une branche distribution. Moi je suis vraiment du côté production. Parfois ça communique. Il s’agit d’encourager des cinémas qui font des recherches formelles, d’écritures originales, tant dans le documentaire que dans la fiction. Par exemple en documentaire, les films de Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor.
Effectivement ça ne va pas de soi comme type de film.
Ce sont de vraies propositions de cinéma qu’il faut défendre, parce que ce n’est pas toujours évident de financer ces formes de films plus libres, moins didactiques. Là, l’idée c’est d’aller dans du cinéma de création, des documentaires d’expérimentation aussi. Et de suivre les travaux de cinéastes comme ceux de Maureen Fazendeiro, depuis très longtemps, depuis ses premiers courts-métrages. C’est important de maintenir des liens avec de jeunes réalisateur.ices, et de petit à petit, en partant de la forme court-métrage, les emmener au long comme ça s’est passé pour Maureen.
C’est une maison qui existe depuis longtemps ?
Depuis 10 ans.
Elle mobilise combien de personnes ?
On est une toute petite structure, la plupart du temps on est 3.
S’il y avait une notion au cœur de son activité, un mot, une valeur ?
Je pense que l’on est en quête de profondeur. On ne veut pas rester à la surface des idées, à la surface des recherches visuelles. Il y a une certaine envie de tenter vraiment de nouvelles pratiques, de nouvelles formes d’écritures, tout en faisant perdurer des méthodes plus anciennes comme la pellicule pour certains films par exemple. Une quête de sincérité et d’un certain engagement je pense aussi, pour maintenir l’envie d’un cinéma exigeant mais qui puisse parler aux futur.es spectateurs et spectatrices.
Dans le domaine de la production, comment voyez-vous le rapport entre le producteur et le réalisateur. Pour faire simple disons entre la finance et la création ?
L’idée c’est qu’il y ait un va-et-vient et un accompagnement des réalisateurs et réalisatrices. La fabrication documentaire nécessite des phases d’écriture et de recherches assez longues, ça demande beaucoup de repérages. Mais souvent le réalisateur ou la réalisatrice fait ce travail plutôt de façon solitaire. Et la productrice, elle, elle est là pour donner du cadre. En tout cas pour encourager un dialogue sur le travail qui est en train d’être fait. Il y a des moments de sensation de solitude, de fatigue, quand on est dans la création, n’importe quelle création d’ailleurs, dans n’importe quel travail. L’idée ici, c’est d’être un soutien créatif, mais en gardant en tête de rendre le projet possible en fonction de l’économie du film, et de chercher des possibilités de financements. On jongle entre mettre en évidence les idées créatives dans la réalisation tout en les rendant faisables, surtout quand on a un petit budget. Enfin oui, on ne peut pas rester uniquement dans le rêve. Je pense que l’envie c’est d’accompagner du début à la fin. Enfin, c’est ça le mieux, le plus fort. Quand les gens arrivent à se trouver, créativement, ça peut créer des duos réalisateur.ice/producteur.ice assez forts qui poursuivent ensemble le travail du moment de l’écriture jusqu’à la fin du montage, puis jusqu’à la recherche de distributeur. Du début à la fin, la productrice a été là pour soutenir la création de ce film. Donc c’est plus créatif que ce qu’on croit. Pendant les recherches de financements, il faut savoir transmettre les intentions de création, la sensibilité artistique et politique qu’on défend. Pour parler d’argent il faut parler du film d’abord puisque pour convaincre les financiers, les chaines, les régions, on écrit des dossiers, des notes de production pour dire pourquoi on trouve ce film nécessaire, pourquoi on pense que le CNC devrait donner un soutien financier car ces soutiens sont indispensables mais sont en danger à cause des coupes budgétaires dans la culture comme dans les autres secteurs. Pour les productions indépendantes comme nous, il y a un vrai travail sensible et tenace, plus que ce qu’on peut croire parfois, ça a de la valeur pour moi.
Je pensais récemment au film de Truffaut La Nuit américaine où il présente en gros tous les métiers du cinéma. Et à un moment, le journaliste s’avance vers le producteur du film qui est en train d’être tourné dans La Nuit américaine. Et le producteur dit, « le producteur doit rester dans l’ombre ». Célèbre formule qui correspond évidemment, à l’époque de la Nouvelle Vague
Ce n’est pas un défaut de savoir rester dans l’ombre, c’est une qualité qu’ont aussi les techniciens et techniciennes, les scénaristes, c’est le travail de création qui est visible. En tout cas ne pas être forcément toujours au premier plan, moins se montrer ça ne me semble pas être un problème, je ne sais pas à quel point le grand public sait vraiment qui sont les producteurs et productrices du cinéma indépendant.
Vous pouvez nous parler un petit peu de votre travail de réalisatrice ?
Ce qui est super, c’est que travailler en production m’a aussi permis d’écrire des projets pour moi et justement, lire beaucoup de dossiers dans ce boulot de production, en écrire, mettre en page des idées, lire le cinéma à l’écrit, ça m’a vachement aidé à comprendre comment expliquer la fabrication d’un film en train de se faire, même si ça n’est pas évident. Surtout en ce qui concerne les courts-métrages documentaires. Il y a toute une nécessité de filmer des choses sans même savoir ce qu’on va trouver pour tenter de trouver de l’argent qui ensuite permettra de faire des repérages d’une plus grande ampleur, c’est quand même pas facile, il faut encaisser un certain nombre de refus avant que ça finisse par parler à quelqu’un d’une commission, d’un festival. Pour mes projets, j’aime beaucoup travailler sur les luttes sociales, sur la politique. J’ai pu fabriquer un film sur la grève des éboueurs pendant la contestation de la réforme des retraites parce que j’étais en train d’en faire un autre sur les élections présidentielles de 2022, à travers les affiches de campagne et je me suis à ce moment rapprochée de gens qui parlent de la lutte. Ce qui m’intéresse c’est à quel point la politique est partout et nous appartient. Comment elle se représente dans la rue ? Comment on traverse physiquement les choses politiques et comment on peut s’en emparer ? Moi j’adore faire ça, ça me passionne. J’aimerais bien travailler aussi sur d’autres choses après ça. Pour l’instant, j’essaie de valoriser le travail que j’ai déjà fait, ça prend un certain temps. Il y a tout une phase indispensable d’inscription en festival justement. Je suis très contente d’avoir une sorte de va-et-vient entre le travail de production et de réalisation. J’ai l’impression que c’est un tout dans ma tête. Et ça m’a aidé.
Eh bien, merci beaucoup.
Propos recueillis lors du festival du film d’éducation à Evreux, décembre 2025
