D COMME DOCUMENTEUR

Documenteur ? Un mot inventé par Agnès Varda. Parce qu’elle aime jouer avec le langage. Parce qu’elle cherche toujours le vrai sens des mots. Ou parce qu’il faut toujours se méfier des habitudes langagières dont la facilité nous cache bien souvent un sens plus profond. Docufiction par exemple. Mais documentaire et fiction, pourquoi toujours les opposer ? N’y a-t-il pas dans chacun de ces « genres » des ressources que tout film peut utiliser sans se soucier des traditionnelles distinctions de genres. Et Varda est passée maîtresse dans l’art d’utiliser dans ses fictions des modalités filmiques habituellement caractéristiques du documentaire (l’interview par exemple comme dans Sans toit ni loi) ; ou de créer un jeu subtil de correspondances entre des films qui finissent par donner le vertige à ceux pour qui une fiction ce n’est pas du documentaire et inversement.

Cette correspondance fiction-documentaire est systématiquement mise en œuvre dans les deux films « jumeaux » que Varda tourne en même temps, en 1982, à Los Angeles, Mur Murs et Documenteur. Le premier est un documentaire et le second une fiction. Du moins ils se donnent explicitement comme tels. Pour le premier, pas de problème. Sa forme respecte une dimension documentaire classique puisqu’il s’agit de partir à la recherche des murals, ces murs peints ancêtres du Street art actuel qui fleurissent sur les murs de Los Angeles et de les filmer accompagnés en off d’un commentaire. Pour Documenteur, les choses sont plus complexes, comme le laisse entendre le titre. L’histoire qui nous est racontée et qui est « jouée » par des acteurs, peut être considérée comme celle que vit la cinéaste au moment de la réalisation du film. Elle est seule avec son enfant à Los Angeles, son compagnon étant resté à Paris. Le côté autobiographique de cette relation mère-fils est inscrit explicitement dans le film dans la mesure où le rôle de l’enfant est tenu par le propre fils d’Agnès Varda, Mathieu Demy alors âgé de 9 ans. A cette implication personnelle, qu’on retrouve sous bien d’autres formes dans les films de Varda, il faut ajouter la présence de plans repris de Mur Murs. Documenteur prend ainsi une dimension non fictionnelle supplémentaire, le film devenant une exploration de la ville californienne vue par une française presque en « exil ». Los Angeles si triste… Ce qui ne peut qu’accroitre la séduction que peut exercer le récit sur le spectateur.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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