P COMME PAUVRETÉ

La pauvreté existe aux États-Unis, jusqu’en Californie, Si certains ne le savaient pas, ou voulaient l’oublier, ou faire comme si ce n’était qu’une vague idée inconsistante, le cinéma documentaire est là pour nous le rappeler. Avec force.

La pauvreté, c’est d’abord le manque d’argent, cette « nouvelle forme d’esclavage ». Sans argent, on n’est rien, même pas un « citoyen normal », peut-être même pas un être humain. Mais la pauvreté c’est aussi le manque de logement, et le manque de travail. Le plus souvent, ceux qui sont présents dans le film vivent en foyer d’accueil pour SDF. Ou dorment dans leur voiture, lorsque c’est la dernière chose qu’il leur reste. Pas très pratique pour trouver un emploi. Lors d’un entretien, quelle adresse donner pour avoir la réponse ?

L’argent, ils en parlent tous comme ce qui manque le plus. Sans argent ils ne peuvent rien faire. Se loger, s’habiller, se nourrir. La faim existe aussi dans le pays le plus riche du monde. Pour les plus jeunes, élever ses enfants devient alors particulièrement difficile. Mais tous ceux qui nous parlent ici, de tout âge et de toute couleur, ont tous les mêmes problèmes. Comment survivre en n’ayant rien, à côté de ceux qui eux ne manquent de rien ? Deux monde qui vivent l’un à côté de l’autre, de chaque côté d’une même rue parfois, mais qui n’ont aucun contact, aucune relation. Deux mondes qui s’ignorent totalement. Les riches n’ont pas à exclure les pauvres. Ils sont exclus par la force des choses, automatiquement. D’ailleurs certains avouent s’être livrés à des trafics, la drogue surtout. Et avoir fait de la prison. Un milieu auquel ils voudraient ne plus avoir affaire. Mais dans les quartiers où ils vivent, les gangs sont partout, la violence est omniprésente, les meurtres quotidiens. Il faut s’estimer heureux dit un homme, de pouvoir rentrer chez soi sans avoir été la cible de coups de feu.

Tout ceci, cette vie de déchéance où il faut constamment lutter pour ne pas sombrer totalement, ceux que le film a rencontré en parlent sans colère, sans haine, sans révolte. Ils n’accusent personne, pas même le destin. On a l’impression que parler à la caméra leur fait quand même du bien, les aide à exister, à être encore quelqu’un . Ici ils peuvent encore sourire.

Le film ne nous présente pas ces prises de parole de façon classique, comme une suite d’interviews ou de fragments d’entretiens, se succédant à l’écran de façon indépendante. La cinéaste met au point un dispositif original, en apparence tout simple, mais qui se révèle au fond particulièrement élaboré. Il s’agit d’une sirte de diaporama où des photos sont affichées sur fond noir, des vignettes où les personnes sont toutes cadrées de façon identique, vue frontale en plan poitrine. Les photos apparaissent et disparaissent souvent rapidement, parfois elles restent affichées plus longtemps. Elles sont toujours alignées, une ligne horizontale où elles figurent plus ou moins nombreuses, Lorsque la ligne est complète, il y a jusqu’à douze photos. Mais à d’autres moments, la ligne peut être réduite à deux images, ou même une seule. La tailles des vignettes varie alors en fonction de leur nombre à l’écran. Dans le cas où il y a une seule photo, plus grande donc, et ainsi une seule personne à l’écran, celle-ci se présente, décline son nom et son âge et ses passe-temps favoris. Lorsque nous sont présentées plusieurs photos simultanément, les prises de parole ne sont jamais continues. Le montage fait se succéder des fragments de discours, petites phrases, expressions ou même de simples mots, mais qui peuvent se répéter d’un interlocuteur à l’autre. Il ne s’agit nullement d’un dialogue, mais ces fragments se répondent, se complètent, pour former un seul discours, un discours polyphonique où parfois d’ailleurs les mêmes mots sont prononcés simultanément par plusieurs personnes. Des mots importants, les plus importants sans doute. Le film élabore ainsi un discours unique dont l’auteur est pluriel, l’ensemble des personnes dont les photos apparaissent à l’écran. Un seul corps souffrant, aux visages multiples mais intégrés, fondus, dans une seule totalité. La pauvreté ainsi n’est plus un concept abstrait, ine idée générale. Et la cinéaste n’a pas besoin de la définir. Il suffit que ceux qui la connaissent si bien l’expriment telle qu’ils la vivent.

Long Story short de Natalie Bookchin, États-Unis, 2016, 45 minutes.

Présenté en compétition internationale au festival du cinéma du réel 38° édition, ce film a obtenu le Grand prix du cinéma du réel.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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