Ecrivain, peintre, prostituée, Grisélidis Réal est un personnage à multiples facettes, si difficilement saisissable que l’auteure du film hésite à assumer pleinement la responsabilité du portrait qu’elle veut en faire. Elle nous propose alors un autoportrait, ou plutôt même des autoportraits, où c’est Grisélidis elle-même qui va s’exprimer, venir à notre rencontre, se dévoiler peu à peu dans toutes les péripéties de sa vie d’artiste, mais aussi dans les contradictions de sa vie personnelle.
Le film privilégie nettement la dimension artistique de la vie de Grisélidis, insistant sur son œuvre littéraire présentée par son éditeur, Yves Pagès, qui a découvert en elle une écrivaine originale, unique. Des extraits de ses livres sont lus en voix off, mais aussi une grande partie de la correspondance qu’elle a entretenue pendant de longues années avec Jean-Luc Hennig, mettant à jour une relation complexe et tourmentée.
Marie-Eve de Grave utilise surtout dans son film les nombreuses archives qu’elle, a pu explorer à Berne. L’iconographie de Grisélidis est riche de portraits photographiques, en noir et blanc, souvent des photomaton, que la cinéaste épingle sur l’écran pour en faire un tableau-montage qu’on pourrait retrouver sur le mur d’un salon. Et surtout elle filme les manuscrits de Grisélidis, des feuilles de tous formats, recouvertes d’une écriture souvent très raturée, des brouillons et des textes écrits d’un seul jet comme ceux rédigés en prison qui ont une puissance inégalée.
Grisélidis était suisse et a longtemps vécu en Suisse. Mais la Suisse ne l’a jamais reconnue, et même pour ce film, ce sont des financements belges qui l’ont rendu possible. La Suisse protestante et puritaine n’a sans doute jamais accepté son engagement en faveur de la prostitution, qu’elle pratique comme un art, un choix personnel, politique, « La prostitution est un acte révolutionnaire » disait-elle, Et elle est très vite devenue une figure en vue de la « révolution des prostituées » qui se développa à Paris dans les années 70, dans le prolongement de Mai 68. La Suisse n’a pas aimé Grisélidis et celle-ci n’a guère aimé la Suisse. Des images du film nous montrent, comme des incrustations, quelques uns des stéréotypes les plus courants du pays, les vaches et le chocolat, des images de publicité d’une autre époque. Et les textes de Grisélidis ironisent sur ses habitants.
Le film de Marie-Eve de Grave est en noir et blanc. Il était impensable qu’il en soit autrement dans un portrait de l’auteur de Le noir est une couleur. Beaucoup de séquences, très travaillées plastiquement, rendent parfaitement compte de cette valeur de la nuit ou du corps des africains et en viennent à conférer au noir l’incandescence du feu.
Belle de nuit – Grisélidis Réal, autoportraits de Marie-Eve de Grave Belgique, 2016, 74 minutes
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