Bienvenue à Madagascar de Franssou Prenant
Irons-nous à Madagascar ? Le titre du film nous en fait la promesse, ou du moins nous en offre la perspective. Nous attendons sa réalisation tout au long du film. Elle ne sera pas tenue. Mais ce n’est pas vraiment une déception. Nous pouvons très bien nous contenter de rester à Alger.
Le film se déroule donc entièrement à Alger. Et nous propose, en plus des images de la ville, une histoire de l’Algérie récente, depuis la guerre de libération et l’accession à l’indépendance, jusqu’à aujourd’hui, en passant par les années de plomb et le terrorisme islamiste.
La caractéristique principale du film, c’est la façon dont il pratique la dissociation systématique de l’image et du son. Deux composantes réellement autonomes, malgré quelques points de rencontre, très peu nombreux en fait. D’un côté un ensemble d’images de la ville, Alger tout en splendeur. De l’autre un ensemble de dialogues, parfois des fragments de monologue ou déclarations plus privées, et quelques relativement rares interventions musicales. Mais le tout forme quand même une parfaite unité, un film en non pas deux. Un film qui sait simplement multiplier le plaisir spéculaire par deux.
La bande son propose donc un ensemble polyphonique, des voix qui par instant se superposent, des voix féminines et masculines, jeunes ou de tonalités plus mûres, des voix qui peuvent être gaies ou sérieuses, parfois simplement murmurées, parfois presque chantantes. Une bande son qui nous laisse imaginer des lieux de rencontres, des débats entre amis qui peuvent devenir enflammés, des conversations plus intimes, et même des bribes de confessions secrètes. Des voix toujours attachantes, parmi lesquelles se détache celle de la réalisatrice elle-même, que l’incipit du film nous a fait découvrir dans une déclaration en première personne fondatrice de sa démarche. Par la suite elle deviendra une composante du film comme les autres, les interventions des uns et des autres n’étant aucunement hiérarchisées, même si certaines sont plus fréquentes, ou plus longues et donc plus marquantes pour l’auditeur. Mais toutes n’ont de sens que par l’ensemble dans lequel elles prennent place. S’il y a récit, ce n’est que dans cet effet de globalité.
Les images d’Alger se présentent comme un flux ininterrompu, passant des clichés convenus ou autres photos touristiques (les immeubles blancs du front de mer vus depuis un bateau) aux découvertes les plus surprenantes, les toits et les ruelles, et même le souk et les commerces ne nous donnent jamais l’impression de déjà vus. Bref, une visite de la ville dans sa totalité, dont il se dégage une grande chaleur et une grande vitalité même si les personnages sont rares. Une ville explorée, fouillée dans ses moindres recoins, où chacun peut privilégier ce qui va correspondre à la tonalité de ses sensations du moment. Une visite donc très sensuelle et très physique à quoi s’ajoute la dimension spirituelle apportée par les images d’archives. Et la diversité de la nature des images, du 8 mm au numérique, que la différence de grain laisse entrevoir, renforce cette dimension de pluralisme, que le foisonnement des voix permettait déjà d’appréhender. Une ville qui ne nous est pas proposée dans une vision unique qui ne pourrait être que restrictive.
Bienvenue donc dans cette ville plurielle, où le seul dénominateur commun à toutes les vues qui nous en sont proposées, reste sans doute la blancheur.
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