Uzu de Gaspard Kuentz, Japon, 2015, 28 minutes.
Une cérémonie que l’on peut supposer religieuse, même si ce n’est pas du tout au sens où nous entendons ce terme dans le monde Chrétien. Une cérémonie qui doit être ancienne, donc traditionnelle, qui perpétue la tradition. Une cérémonie surprenante pour nous, incompréhensible même, ce qui ne peut que renforcer la dimension ethnographique du film. Une cérémonie violente, très violente, qui ne se situe pas au sein d’une guerre, mais qui n’en est pas loin. Une cérémonie éprouvante pour ceux qui y participent, mais aussi pour nous spectateurs du film qui nous plonge en son cœur même.
Cette cérémonie se déroule dans la ville de Matsuyama, sur l’île de Shikoku, lors du Festival de Dôgo, nous dit le carton final du film. Il ne nous en dira pas plus. Ni son origine, ni sa signification. Il nous laissera en face de cette altérité, au risque de nous transformer quelque peu en touristes. Nous devons donc faire effort pour ne pas rester totalement extérieurs à ce qui se déroule sur l’écran. Mais il faut bien l’avouer, il est bien difficile de ne pas considérer cette cérémonie comme un spectacle.
De quoi s’agit-il ? Deux équipes face à face. Des hommes, nombreux, forts, bien alignés, chacun à son poste, prêt pour l’ultime épreuve. Chaque équipe porte un palanquin, sorte de tabernacle (le mot est bien sûr inapproprié) qui est dédié au dieu qui protège le groupe, une maison, famille élargie, soudée dans la même dévotion. Les deux équipes vont alors dans un même mouvement se précipiter l’une contre l’autre, faire se heurter les deux palanquins, pour désarçonner l’autre, le faire chuter, car le palanquin ne doit pas toucher le sol, ce qui signifie la défaite. Alors tout doit être mis en œuvre pour éviter cela, jusqu’à se précipiter sous le palanquin sous sa chute, une chute inévitable dans le choc. Une chute particulièrement dangereuse puisque les tabernacles sont particulièrement lourds. Et effectivement il y aura des blessés, écrasés sous le poids, leur corps servant de protection pour que le palanquin ne touche pas le sol.
Le film suit la préparation de cette cérémonie. Préparation physique des participants qui doivent chacun être particulièrement fort et résistant. Préparation de groupe aussi, puisqu’il faut une cohésion parfaite du groupe, être un «cœur dans un seul corps ». Une préparation qui dépasse nettement la dimension sportive qu’on peut, au début, lui attribuer, pour prendre un sens nettement militaire. On parle d’ennemi, qu’on doit vaincre à tout prix. « On n’est pas des kamikazes » dit l’un d’eux. Et pourtant on en a un peu l’impression.
Le cinéaste ne nous montre pas directement le choc entre les deux palanquins. Il a suivi une seule des deux équipes, la maison de Kôno, jusqu’au moment où elles s’élancent l’une contre l’autre. Mais au moment du contact il nous propose l’image de la caméra qu’il a placée dans le palanquin. Et l’on peut ainsi appréhender la violence du choc. D’ailleurs aussitôt après, on se retrouve parmi les blessés, les corps écrasés qu’il s’agit de dégager. Et la violence continue, certains en venant même aux mains, et il est bien difficile de les séparer. Une dérive qui n’est du goût de tous.