L COMME LIVROZET Serge

La mort se mérite de Nicolas Drolc, France, 2017, 1H32.

Avec un personnage hors norme, comment le film qui en fait le portrait pourrait-il ne pas sortir de l’ordinaire. Même si on retrouve ici, comme dans tous les films qui sont des portraits, des entretiens et des images d’archives, des images du passé de ce personnage et des images de son présent, des lieux qu’il habite ou qu’il traverse et  des activités de sa vie quotidienne. Mais tout cela est en quelque sorte transcendé par la beauté des images, un noir et blanc très sombre la nuit et presque lumineux le jouir, et surtout par une bande son extrêmement travaillé, surtout au niveau de la musique que l’on doit à Quintron’s Weather Warlock. Dès l’Incipit, le ton est donné. Deux déclarations péremptoires : « La vie est absurde, elle ne sert à rien »,  «  Moi j’accepte pas la mort ». Et des images de la nuit pendant le déroulement du générique, en alternance avec des coupures de journaux, des images de circulation ou d’un voyage dans la nuit. Pour aller où ?

Le personnage du film c’est Serge Livrozet, ancien plombier (il répétera souvent qu’il a commencé à travailler à 13 ans) ancien perceur de coffres selon sa formule, ancien taulard (huit ans de prison) mais aussi écrivain, éditeur (ou plutôt auto-éditeur) et surtout militant libertaire.

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Il est devenu délinquant parce qu’il n’avait pas d’autre solution. Il s’en est sorti parce qu’il a trouvé une autre voie, la culture, la connaissance et l’action, pour défendre ses idées, pour ne pas se résigner, pour rester ce révolté qu’il a toujours été, même si la vieillesse venue cette révolte ne peut plus passer par l’action.

Il raconte donc sa vie, depuis son enfance marquée par le métier de sa mère prostituée. Puis des étapes historiques, Mai 68, Radio Libertaire où il est animateur, les assises de la justice, le CAP (Comité d’Action des Prisonniers) qui contribue à créer avec Michel Foucault, et son travail d’écrivain. Le tout rendu concret par un nombre important de documents d’archives, des articles de journaux, des photos, des extraits d’émissions de télévisions  (il était presque pendant un temps l’invité obligé de tout plateau concernant le problème des prisons), des lettres de Foucault, trop rapidement filmées d’ailleurs pour qu’on puisse les lire.

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Son amitié avec Foucault, ses relations avec les intellectuels de l’époque, Sartre ou Deleuze, il n’en tire aucun orgueil. Il a cru dans sa jeunesse – le temps des illusions dira-t-il – que la révolte allait se généraliser, que la révolution allait se faire. Aujourd’hui y croit-il encore ? Il ne renonce pas à ses idées, mais il est vieux, malade.

Dès le début du film il est filmé allongé sur un lit. Il vient d’être opéré. Il sent la mort se rapprocher. Mais il veut continuer à vivre. On le retrouve alors tout au long du film au volant de sa voiture, cigare à la bouche. De jour comme de nuit. Sur la Côte d’Azur où il connait les meilleurs endroits pour admirer la mer. Chez lui, il prépare un caviar d’aubergine en faisant l’éloge de l’ail. Et il nous gratifie d’une démonstration de la façon d’allumer un cigare, les Havanes surtout.

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Un film qui sort de l’ordinaire par la stature hors du commun de son personnage. Mais qui finit, comme tant de portrait, par rendre ce personnage attachant. Surtout quand il avoue finalement son échec. « J’ai échoué » dit-il, mais il a vécu sa vie et ses convictions.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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