Amsterdam, global village Johan Van der Keuken, Pays-Bas, 1996, 245 mn
Ce film est le portrait d’une ville. Mais cette ville n’est pas prise au hasard. C’est la ville du cinéaste, sa ville natale, celle qu’il connait le mieux, qu’il a toujours connue. Une ville dont il veut nous faire découvrir les secrets et nous faire partager ce sentiment d’admiration devant sa richesse et sa diversité qui imprègne chaque plan.
Comment un cinéaste peut-il faire le portrait d’une ville, de sa ville ? En la filmant sous tous ses aspects, ses rues, ses monuments, l’ensemble de son espace. En filmant les gens aussi, ses habitants ou ceux qui ne sont que de passage ; ceux qui y ont toutes leurs racines ou ceux qui cherchent à y trouver leur place. Et puis son histoire aussi, à travers les habitudes des uns, les références des autres et les grandes manifestations qui rassemblent tout le monde. Mais faire le portrait d’une ville n’implique pas de se couper du reste du monde. Et lorsqu’on est un voyageur comme Johan Van der Keuken, les occasions ne manquent pas d’aller explorer d’autres contrées.
Amsterdam est une ville d’eau. C’est du moins la première indication que nous en donne le film. Les premiers plans nous montrent les canaux, de longs travellings au raz de l’eau où se reflètent les ponts. La caméra se redresse parfois pour cadrer à travers le feuillage des arbres les belles demeures flamandes qui longent les quais. Une caméra qui prend son temps : le cinéaste n’est pas pressé (le film dure quatre heures). Cette ville doit être découverte avec patience, sans aucune précipitation. Il faut se laisser imprégner par son atmosphère.
Amsterdam est une ville de fêtes, où ses habitants prennent un plaisir évident à faire la fête. Des fêtes traditionnelles comme la Saint-Nicolas et ses régates en costumes traditionnels ; le Jour de l’An, une occasion de plus de boire à la lumière des feux d’artifices et dans le vacarme des pétards ; le Jour de la reine et sa brocante géante. Mais aussi des fêtes simples comme celles qui fleurissent l’été dans les parcs. Le sens de la fête, ici, c’est le mélange de la tradition et de l’air du temps, la rencontre du local et du cosmopolite.
Amsterdam, c’est aussi une ville de rencontres. Des rencontres toutes différentes, à l’image de la diversité de la population de la ville. Des rencontres parfois anonymes, comme ce marchant de tissus africains et sa cliente, comme ce SDF croisé le matin à son réveil dans son duvet. Mais aussi de véritables contacts humains avec des habitants d’Amsterdam dont l’histoire personnelle est particulièrement riche de sens.
Roberto est bolivien. Van der Keuken le suivra dans son voyage dans son pays où il rend visite à sa mère. Nous le découvrons au préalable accompagnant sa femme enceinte, lors d’une échographie à l’hôpital. Nous le retrouvons lors du premier bain donné au bébé après la naissance, un fils dont le père est fier. Le voyage en Bolivie, Roberto l’effectue seul et sa mère regrettera beaucoup de ne pas voir cet enfant et de pouvoir parler avec sa femme. Ce voyage, qui pourrait constituer à lui seul un film, commence par les vues impressionnantes, prises d’avion, sur les montagnes enneigées. Puis nous découvrons le village dans un paysage tout aussi magnifique. Mais c’est sur la dureté de la vie dans cette région isolée et éloignée de tout que le cinéaste s’attarde. La mère de Roberto a eu six garçons et six filles. Combien sont encore vivants ? Que sont-ils devenus ? Et Pourquoi Roberto est-il parti si loin ? Le visage plein de larmes de sa mère filmé en gros plan est particulièrement émouvant. Mais le retour de Roberto sur son lieu de naissance est aussi l’occasion d’une grande fête à laquelle sont venus participer tous les villages environnants, défilant en musique et dansant avec toute la population. Roberto fait un grand discours et distribue les cadeaux qu’il a apportés, des stylos et des cahiers pour les enfants et les adolescents.
Borz-Ali, lui, est tchétchène. Sa rencontre à Amsterdam se poursuivra aussi en Tchétchénie, où les traces de la guerre sont bien visibles Le génie du cinéaste, c’est ici de créer des ponts entre l’ici et l’ailleurs, de construire une vision de l’humanité qui échappe aux différences nationales. Le cinéma de van der Keuken ne connaît pas de frontière.
Hennie est une vieille dame juive qui retourne, en compagnie de son fils, dans l’appartement où son mari a été arrêté en 1942. Une façon pour le cinéaste d’inscrire le présent dans le passé douloureux de sa ville.
Le génie du cinéaste, c’est ici de créer des ponts entre l’ici et l’ailleurs, de construire une vision de l’humanité qui échappe aux différences nationales. Le cinéma de van der Keuken ne connaît pas de frontière.
Nous suivons tout au long du film Khalid, coursier de profession, qui parcourt la ville sur sa « mob » pour livrer des pellicules à des laboratoires photographiques. D’origine marocaine, il évoque chez lui, en présence d’amis, sa vie d’immigré, le retour au pays avec ses parents au bout de 15 ans passés à Amsterdam, son service militaire dans le désert marocain et son retour dans sa ville d’adoption qui lui manquait tant. Au hasard de ses livraisons nous pouvons assister avec lui à une séance de pose photographique, que van der Keuken filme en connaisseur. Khalid, c’est le fil rouge du film, celui qui nous fait découvrir la ville au rythme trépidant de ses courses. Celui dont le regard est en fait celui du cinéaste.
Et puis, Amsterdam ne serait pas Amsterdam sans ses parties de foot à la télé ou dans les parcs, ses nuits de danse et de musique dans les boites, ses vendeurs de H dans les coffee shop, ses amoureux et ses amoureuses, ses vélos et toujours ses canaux, ses mouettes filmées comme dans Hitchcock. Il y a tout ça dans le film de van der Keuken. Tout ça et bien plus encore. Il est difficile d’évoquer tous les moments si divers qui composent ce film de près de quatre heures. Un film foisonnant de vie. « J’ai toujours pensé que la vie, c’est 777 histoires à la fois. », disait Bert Schierbeek que Van der Keuken aime à citer. Amsterdam, global village concrétise parfaitement cette maxime. Son cinéma n’en est que plus vivant.
1 commentaire