V COMME VOYAGE – Rêve.

Les Films rêvés, Éric Pauwels, 2010, 180 minutes.

         Un film « doux comme un rêve », un rêve de cinéaste. Tous les cinéastes ont rêvés de films qu’ils n’ont pas pu réaliser. Tous les films réalisés ont d’abord été des films rêvés. Éric Pauwels, comme tous les cinéastes rêve de faire des films. De tous ces films rêvés il fera un film, Les Films rêvés, justement.

Ce film contient tous les films possibles. « Les films qui agissent et les films qui regardent ; les films de souvenirs et les souvenirs de films ; les films qui ferment les yeux et ceux qui les ouvrent ; les films qui disent au revoir et ceux qui disent adieu ; les films qui racontent des histoires et les films qui ne racontent pas d’histoire ; les films qui ont le point de vue des dieux et ceux qui ont le point de vue des hommes ; les films qui se souviennent et ceux qui oublient. » La liste est belle. Elle pourrait être allongée et tous les cinéastes pourraient établir la leur. Et même ceux qui ne sont pas cinéaste pourraient entrer dans le jeu et proposer des images qui iraient avec chacun de ces films rêvés.

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Certains des rêves de Pauwels se réduisent dans son film à quelques images, une référence littéraire, un souvenir personnel ou une rencontre. D’autres sont quasiment développés comme un court métrage, parfois totalement autonome, ou bien fonctionnant comme de multiples résurgences tout au long du film. On pourrait avoir l’impression d’un patchwork, mais la continuité filmique est toujours assurée par des associations, d’idées ou d’images. Et la voix du cinéaste, toujours hors-champ, nous sert de guide dans les méandres de son voyage filmique.

Car ce film est un voyage. Un voyage sur les pas d’Ulysse. Un film qui commence donc devant les murailles de Troie, mais qui ne se contentera pas d’explorer la Méditerranée. Sur les pas d’Ulysse le  film constitue une histoire des voyages et des voyageurs, des grandes découvertes et des petites explorations, de Colomb à Magellan en passant par Las Casas, et bien d’autres, moins connus ou qui ont pris moins d’importance dans l’Histoire. Certains voyagent même sans sortir de leur chambre, ou bien des bibliothèques où ils écrivent des aventures qu’ils n’ont jamais vécues. Ou bien des aventures si extraordinaires qu’on ne peut croire qu’ils les aient vécues, comme ce Louis de Rougemont qui passa, selon son livre, plus de trente ans dans le désert australien. Cet autre qui chercha toute sa vie, dans le monde entier la femme, dont il était amoureux. Un film de voyage, c’est aussi un film où le bleu domine, dans les images de la mer et du ciel, même si l’une et l’autre sont parfois striés d’éclairs de lumière blanche.

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Si Ulysse est le premier à avoir fait rêver Pauwels, il est un autre voyageur dont il suivra les traces en Afrique, un voyageur-cinéaste, sans qui peut-être Pauwels n’aurait jamais rêvé de cinéma. Ce cinéaste-voyageur, c’est Jean Rouch, l’Africain, que Pauwels reçoit chez lui et qu’il filme dans son jardin, et à qui il va rendre hommage jusqu’en Afrique, dans la boucle du Niger, en déposant un petit coquillage sur sa tombe. Pauwels aime les anecdotes. Celle que lui raconta Rouch est en fait bien plus qu’une anecdote, elle nous dit tout du cinéma. Montrant le film qu’il venait de terminer sur le fleuve Niger à des Africains, ceux-ci lui demandèrent d’enlever la musique, pour ne pas faire peur aux hippopotames.

Les Films rêvés est un film érudit, parce que son auteur rêve aussi à travers les aventures des autres, leurs pensées, leurs œuvres. De Gauguin à Victor Hugo et Baudelaire écrivant Les Passantes à la terrasse d’un café parisien. Ou bien encore Le Mahâbhârata, la plus longue histoire jamais écrite et dont bien des cinéastes ont dû rêver de tirer un film. Pauwels se fera plaisir en mettant en scène le début et la fin d’un de ses films rêvés. La réalité pourtant reprend le dessus, comme lors de la rencontre avec ce Marocain qui passa 18 ans dans le bagne de Tazmamart, en plein désert. S’il a pu survivre dans ces conditions inhumaines, c’est sans doute parce qu’il n’a cessé de rêver de ce que sera sa vie dans la liberté retrouvée. Des rêves plus forts que tous les films rêvés.

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Une araignée qui tisse sa toile, une cabane au fond d’un jardin, des grenouilles, des rails de chemins de fer qui se perdent dans la profondeur de champ, presque à l’infini, dans des paysages des plus divers, enneigés ou désertiques, des images qui reviennent sans cesse dans le film, comme on revient toujours chez soi après un long voyage. Restent les images rêvées, mêmes si elles sont de pures fictions, comme cette jeune femme qui effectue un savant strip-tease, dans une improbable taverne à l’autre bout du monde, accompagnée simplement par une sonate de Schubert. « On ne peut vivre sans rêves, sans mensonges et sans illusions. »

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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