E COMME ENTRETIEN – Niki Velissaropoulou

 Comment êtes-vous devenue cinéaste? Quelle est votre formation?

J’ai choisi le cinéma comme moyen d’expression des idées mais aussi des sentiments et émotions. Le cinéma ce n’est pas un travail artistique solitaire, comme la peinture ou la poésie, mais collectif. C’est un art populaire qui peut être vu et apprécié par tous. J’ai choisi de tourner des documentaires sociaux pour montrer qu’il existe d’autres idées et possibilités de sociétés, que celle dominante.

Au début des années 2000, j’ai commencé mes études à l’Université de Crète. J’ai étudié les sciences de l’éducation, études riches en littérature, psychologie avec une emphase sur l’éducation et la thérapie à travers l’art. A cette époque mon pays n’avait pas d’université de cinéma qui ne s’est créée qu’en 2004. En 2005, je décide de venir au pays qui a créé le cinéma, la France. J’ai poursuivi des études de Lettres Modernes à la Sorbonne en faisant un M2 sur l’adaptation des œuvres littéraires à l’écran. Plus j’étudiais le cinéma et regardais des films plus mon désir d’en faire grandissait. C’est ainsi qu’ensuite je m’inscrivis à Paris VIII à la Licence de Cinéma et en suite en M2 en Réalisation et Création Cinématographique, fiction. En 2015 j’ai décidé d’adhérer à l’association de documentaristes Addoc qui fut pour moi une deuxième école de cinéma, cette fois-ci sur la création des films documentaires. J’ai réalisé jusqu’à maintenant, des courts métrages de fiction, dont en 2014 les «Jardins secrets», le documentaire «Nous ne vendrons pas notre avenir» en 2018 et quelques reportages et mini documentaires au contenu social.

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Quels sont vos liens avec la région où est tourné votre film « Nous ne vendrons pas notre avenir »?

Lorsque j’étais enfant, je passais mes étés en Chalcidique, une péninsule près de la ville de Thessalonique, chez mes grands-parents, dans une ambiance insouciante et chaleureuse, au bord de la mer. Mes souvenirs sont nourris de jeux en pleine nature. En 2012, je suis retournée en Chalcidique pour y tourner mon court-métrage de fiction «Jardins secrets» et j’ai découvert que le paradis de mon enfance était menacé. Une immense banderole à l’entrée du village proclamait «Chercheurs d’or, nous ne vendrons pas notre avenir ! » Le village s’était mobilisé. J’ai croisé des habitants de tous âges qui portaient des T-shirts proclamant «SOS Chalcidique», «Sauvez le berceau d’Aristote», «Non à l’extraction d’or».

Je décidai de passer plus de temps en Chalcidique pour comprendre ce qui se passait, comprendre l’état d’esprit des habitants, recueillir leur parole, et me renseigner sur les dangers de l’extraction d’or pour la région. J’appris que pendant 20 ans, l’entreprise envisageait d’utiliser 6 tonnes d’explosif par jour, la poussière de la mine de Skouries représenterait plus de 3 tonnes par heure. 24 000 tonnes de minerais seraient extraites d’une profondeur de 700 mètres. Des milliards de tonnes de déchets allaient s’accumuler chaque jour dont 450 000 tonnes d’arsenic, capables de tuer toute la population de la terre. Les habitants n’auraient plus d’eau potable, l’eau serait polluée par l’arsenic et l’acide sulfurique, la foret serait dépeuplée de toute vie et l’agriculture de toute la région serait endommagée.

J’ai choisi d’un faire ce documentaire, engagé, comme un moyen de faire connaître au plus grand nombre la révolte et les espoirs de mon pays et de ses habitants, révolte qui est la mienne, tout comme l’est mon espoir dans la jeunesse.

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 Comment avez-vous choisi les jeunes filles que vous suivez tout au long du film? Et leurs parents?

Au printemps 2013 je suis retournée à Ierissos. Pendant plusieurs mois des barrages avaient été mis en place à l’entrée du village pour protester contre l’arrestation et l’inculpation de quatre membres du mouvement «SOS Chalcidique». C’est en participant à cette action, que j’ai rencontré Giota, institutrice, militante, et mère de trois enfants, deux garçons et une fille. Je lui ai dit mon intention de réaliser un documentaire sur la politisation des adolescents. Elle m’a présenté sa fille de 14 ans, Dimitra, dont je me suis aussitôt sentie proche. En juillet 2013, j’ai commencé à filmer Dimitra, sa famille, très politisée et athée, et ses amis. Une de ses camarades de classes, Garifalia, venait d’un milieu très différent, mais la lutte avait rapproché les deux jeunes filles. Comme il me fallait également montrer la face traditionaliste et religieuse de la Grèce, j’ai filmé aussi Garifalia, et sa famille nombreuse. Le portrait de la Grèce d’aujourd’hui, à la fois révolté et traditionaliste, se dessine à travers ces deux familles. Dimitra et Garifalia symbolisent la nouvelle génération, la jeunesse grecque d’aujourd’hui, forcée de se politiser très tôt.

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Votre film montre une lutte populaire et l’on sent que vous êtes engagée à ses côtés. Comment appréciez-vous l’efficacité possible de cet engagement?

S’il n’y avait pas cet engagement fort de tous les habitants de la région, et pas seulement, la mine à ciel ouvert aurait été déjà en marche depuis plusieurs années maintenant. En ce moment Eldorado Gold, la compagnie minière, est encore là mais elle n’a pas encore tous les permis ; il lui manque le permis de la métallurgie et de la séparation des métaux (la séparation de l’or des autres métaux). L’état n’a pas encore donné ce permis parce que la compagnie n’a pas pu prouver qu’elle n’utilisera pas de cyanure pour cette séparation. La compagnie canadienne est venue en Grèce en disant qu’elle allait utiliser une nouvelle méthode, flash smelting, pour la séparation des métaux, mais cette méthode n’a jamais été utilisée pour la séparation de l’or. L’État grecque attend de la compagnie qu’elle prouve scientifiquement ces propos mais sept ans ont déjà passé sans aucun résultat vers cette direction. Les scientifiques de l’Université Aristote de Thessalonique disent que c’est impossible d’utiliser cette méthode sur la terre de Chalcidique qui est très riche en arsenic.

Pour l’instant, il y a des travaux d’exploitation des sous terrains mais la mine d’or à ciel ouvert ne fonctionne pas. Tout le monde a en ce moment peur de ce qui va se passer aux élections prochaines parce que le parti de la droite, la «Nouvelle Démocratie» a promis de donner si elle est élue, tous les permis à la compagnie. Malheureusement là où il y a de l’argent en jeu il y a beaucoup de corruption. Ces entreprises ont beaucoup de pouvoir, mais les gens continuent la lutte, et moi je suis du côté des habitants, de la nature, et de la jeunesse qui veut construire un meilleur demain.

D’ailleurs la réalisation de films militants on la fait par la nécessité qu’on ressent face à une situation qui touche plusieurs personnes et dont on voudrait qu’elle change ; par besoin de sensibiliser le plus de monde possible ; par admiration pour nos protagonistes qui luttent et qui sont prêts à sacrifier leur confort pour leurs idées. Ce sont ces personnes qu’on admire et dont on fête le courage, qui a changé et amélioré notre monde, ce sont ces personnes qui changent et changeront notre monde aujourd’hui et demain. Nous les réalisatrices et réalisateurs on les rejoint, on lutte près et avec eux ; on en fait un film ; un film qui raconte leur histoire ; un film qui raconte l’histoire humaine.

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Quelles sont vos références et vos influences cinématographiques ?

Les cinéastes qui m’ont inspiré avant que j’ai commencé à réaliser des films, avant même que j’ai étudié le cinéma viennent du documentaire et de la fiction. C’est ceux qui entremêlent poésie, histoire, errance personnel, portrait des villes et des pays dans leurs films (Dziga Vertov, Agnès Varda, Theodoros Angelopoulos, Jim Jarmusch, Wim Wenders).

 Quels sont vos projets?

J’ai commencé la recherche pour un documentaire sur le logement et le mal logement en France et en Grèce. Deux différents pays, des différents problématiques ou peut-être pas si différents… J’ai aussi un projet de fiction, mais c’est très tôt pour en parler.

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Sur le film lire : https://dicodoc.blog/2018/12/05/g-comme-grece-en-lutte/

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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