Monrovia, Indiana, Frederick Wiseman, Etats-Unis, 2019, 2H23
Le premier plan du film cadre un nuage blanc se détachant sur le bleu du ciel. Le dernier s’arrête sur une tombe dans un cimetière. Entre les deux, la vie d’une petite ville, dans les plus minces de ses détails, tous ses détails, car comme on le sait depuis pas mal de temps déjà, Wiseman ne laisse rien dans l’ombre de la réalité qu’il film. A plus forte raison lorsqu’il s’agit d’une bourgade de l’Amérique rurale où, bien sûr, chaque séquence peut renvoyer à un cliché et contribuer à la mythologie omniprésente de l’Amérique profonde, bastion des conservateurs qui ont donc contribué à élire Trump. On sort du film avec l’impression tenace d’avoir tout vu de la ville et le sentiment d’en connaître tous les habitants, même si on ne rentre jamais dans leur vie intime. S’ils ne sont pas tous présents dans le film, ils ne doivent pas être très différents de ceux qui y figurent, ceux-ci n’étant pas de toute façon désignés par leur identité, et se réduisent plutôt à leur fonction.
Que nous montre-t-on donc de Morovia, Indiana ?
Dans le désordre : les sermons dans les Eglises, un mariage et un enterrement, la fête locale, l’exposition de vieilles voitures, la vente de matelas, la clinique vétérinaire, le salon de coiffure pour dame et pour homme et le salon de tatouage, le conseil municipal, le travail des champs, le transport du maïs, les élevages de porcs et de bœufs, le marchand d’armes et celui d’alcool. Liste non complète sans doute, mais chacun ajoutera ce dont il se souvient de plus de deux heures de projection. Une exploration bien minutieuse, à quoi il faut ajouter les plans de coupe, pour le décor, les vues du ciel, du soleil couchant et des nuages, les rues de la ville ou les routes de campagne avec leur circulation de voitures et de poids lourds, et les champs de maïs puisque Monrovia est situé en Indiana, un Etat du Midwest agricole américain.
Mais il faut noter que Wiseman, pour une fois, se permet quelques effets visuels dans le filmage, comme cette petite fille dans le camion où un éleveur (son père ?) fait monter les cochons, ce bœuf qui vient parader devant la caméra, ou surtout les gros plans sur les groins de ces animaux qui se bousculent dans leur enclos.
L’insistance sur la mort dans la fin du film – un sermon bien long et passablement ennuyeux à la mémoire de la défunte, et l’inhumation dans le cimetière sonorisé des seuls sanglots bruyants d’une femme en noir tout prêt de la tombe et de la caméra – fait-elle de Monrovia, Indiana le testament cinématographique de son auteur ? Ce serait sans doute aller trop loin, même si on ne peut alors éviter de penser à son âge. Mais Wiseman maîtrise si parfaitement les règles de méthode qu’il s’est donné à lui-même depuis ses débuts de cinéastes, qu’on sent bien que celui-ci ne sera certainement pas le dernier. Qui s’en plaindrait ?