Le Cas Pinochet, Patricio Guzman, Chili-France-Canada-Belgique, 2001, 114 minutes
La Bataille du Chili retraçait dans ses trois épisodes les événements qui ont conduit le Chili à la dictature militaire, mettant fin à trois ans de présidence Allende. En 2001, une autre bataille s’ouvre, juridique celle-là. Pinochet peut-il être poursuivi et condamné pour les actes de torture qui lui sont imputés ?
Le film de Patricio Guzman va suivre les procédures engagées, au Chili par le juge Guzman et en Espagne par le juge Garzon. Mais c’est à Londres que tout se joue. Le juge Garzon a demandé l’extradition de Pinochet vers l’Espagne pour y être jugé. L’ancien dictateur s’était en effet rendu en Grande Bretagne pour un voyage privé et y avait séjourné plus que prévu pour subir une intervention chirurgicale. De votes en annulation de votes, la bataille juridique connaît bien des rebondissements, ce qui créerait certainement un certain suspens si l’on ne connaissait à l’avance le dénouement de l’histoire. Pinochet ne sera pas extradé. Il ne sera donc jamais jugé. Son retour triomphal au Chili sera l’occasion d’une manifestation enthousiaste de la part de ses partisans. Les victimes des tortures et les familles des disparus et des assassinés par la junte militaire devront eux continuer à combattre pour que tous ces sévices ne soient pas purement et simplement oubliés. Si la droite demande de tourner la page et de pardonner, le film de Guzman s’engage dans un travail de mémoire nécessaire pour redonner leur dignité à tous ceux qui ont souffert de la dictature.
Le film s’ouvre sur de magnifiques paysages de montagnes au nord du Chili. Pourtant ceux qui sont venus là, sur ces terres désolées, ne font pas du tourisme. Le juge Guzman coordonne un ensemble de fouilles destinées à retrouver les restes des disparus qui avaient été internés en ces lieux éloignés de tout. Les familles présentes suivent avec une grande émotion ces travaux, conscientes que ce retour douloureux sur le passé est un devoir à la fois familial et national.
Cette nécessité de ne pas laisser les années noires de la dictature dans l’oubli, le film de Guzman la prend en charge en donnant la parole aux victimes survivantes et aux familles des disparus. Des confessions filmées en gros plan, sans effet particulier, racontant l’horreur, les torture, les viols, les exécutions d’une balle dans le dos ou sur la tempe. Des discours calmes, même s’il n’est pas toujours possible pour tous de retenir les larmes. Nul désir de vengeance non plus dans ces interventions qui rappellent simplement des faits concrets que certains voudraient minimiser. À côté de la froideur des procédures judiciaires, le film se situe ainsi au cœur de la réalité humaine.
Le Cas Pinochet n’est pas le film le plus connu de Guzman. Pourtant il marque une étape importante dans le travail de mémoire qu’il effectue de film en film. Montrant comment la justice internationale peut, même si elle ne réussit pas totalement à propos de Pinochet, ne pas laisser impunis les crimes d’une dictature, son cinéma est une leçon d’humanisme et un cri en faveur de la liberté.