Journal de France, Raymond Depardon et Claudine Nogaret, 2012, 100 minutes.
Depardon cinéaste filme Depardon photographe. Mais pas le grand reporter, star du photojournalisme, fondateur de l’agence Gamma, qui était présent sur tous les points chauds de la planète, de Beyrouth à Berlin. Ici, il s’agit plutôt du ural, qui ne renie pas son origine paysanne, et qui photographie la France profonde, la France des sous-préfectures comme il dit, dont il immortalise les cafés, les épiceries, les ronds-points. Un projet de grande ampleur qui donne lieu à une exposition à la Bibliothèque nationale François Mitterrand : parcourir inlassablement cette France dont la beauté simple échappe souvent au plus grand nombre pour la photographier à la chambre, technique totalement éloignée du photojournalisme qui, pour saisir l’événement dans son instantanéité, a toujours privilégié les appareils 24/36 comme le fameux Leica.
Journal de France présente cependant une autre facette. Pendant que Depardon sillonne le France en camping-car, Claudine Nogaret, sa compagne et ingénieur du son de ses films depuis 25 ans, fouille dans leur cave pour retrouver les chutes inédites des films de Raymond. Le film sera la combinaison de ces deux types de matériau, ce qui explique qu’il ait en fait deux auteurs-réalisateurs.
Photographier à la chambre est une technique particulière que Depardon expose avec précision. On le voit attendre que plus rien ne bouge dans le cadre, ce qui demande beaucoup de patience pour qu’il n’y ait ni passant ni voiture. Et puis, tout au long des pérégrinations du photographe, c’est une autre forme de patience qu’il met en œuvre, celle qui lui permet d’être toujours aux aguets, de ressentir ces coups de cœur qui sont nécessaires pour faire une bonne photo. Des photos que l’on voit dans l’image, derrière l’appareil de prise de vue, ou plein cadre, le cinéma reproduisant alors, dans ces plans fixes, l’aspect de la photographie. C’est sans doute l’aspect le plus original du film, de mêler si étroitement photographie et cinéma.
Les séquences que présente et commente Claudine Nogaret concernent d’abord les premiers essais cinématographiques de Depardon, datant de 1962, à la ferme paternelle, où il hésite entre cinéma et photographie. La méthode de cinéma direct qu’utilisera Depardon, apparaît dès son premier film de cinéma, le filmage de la campagne présidentielle du candidat Giscard d’Estaing. « Derrière chaque image », dit-elle, « il y a un regard, un auteur ». Une phrase qui s’applique tout autant au cinéma qu’à la photographie.
Les autres séquences de ce retour sur le cinéma de Depardon évoquent successivement chacun de ses films, documentaires ou fictions, dans l’ordre chronologique, avec des extraits présentés comme des chutes non présentes dans ces films mais qui sont souvent très proches de celles qui y figurent réellement. Des séquences qui n’ont aucune prétention analytique, ni même critique. Une compilation d’exemples plutôt, dont il faut reconnaître que certains sont particulièrement bien choisis pour rendre compte du film, de son ton et du dispositif de filmage mis en place, comme en particulier la séquence de 10° chambre, instants d’audience.
Journal de France est un film souvenir, qui revendique son orientation autobiographique, et le regard rétrospectif qu’il porte sur l’œuvre du cinéaste-photographe. Un film somme, ou bilan, qui dévoile un peu de la méthode du photographe comme celle du cinéaste.
d’être toujours aux aguets, de ressentir ces coups de cœur qui sont nécessaires pour faire une bonne photo
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