Je veux apprendre la France, Daniel Bouy, 2008, 65 minutes.
Ils viennent d’Afghanistan, de Tchétchénie, de Turquie, du Pakistan, d’Afrique ou d’Asie, chassés par la guerre, les persécutions, la peur, pour fuir aussi la misère, la faim et le désespoir d’un monde sans lendemain. Ils ont choisi la France comme terre d’accueil et se retrouve à Paris, démunis, souvent seuls, parfois sans papier, ignorant tout de notre langue et de notre culture. La première urgence, au-delà des moyens de subsistance immédiate est d’apprendre le français, pour pouvoir se repérer dans ce monde nouveau, pour acquérir une première autonomie absolument indispensable. Tâche difficile, qui demande du temps, de l’énergie et de l’argent. Et qui demande surtout un contexte rassurant et stimulant, avec des méthodes adaptées à ce qu’ils sont, basées sur leur investissement actif et sur la cohésion d’un groupe où la nécessité de réussir est plus fortes que les différences indépassables qui existent entre les uns et les autres.
La chance du groupe que le film va suivre pendant les six mois que dure ce premier apprentissage du français, c’est d’avoir rencontré dans un centre social du XVIII° arrondissement, une enseignante absolument extraordinaire, Marion, qui sait, par son dynamisme, les pousser à toujours progresser, les aidant par la confiance qu’elle leur manifeste à surmonter les difficultés et les moments inévitables de découragement. Et l’on en vient à se dire en la voyant à l’œuvre, que décidément, aucune machine, aucun laboratoire, aucune technologie, si sophistiquée soit-elle, ne pourront remplacer la chaleur de ce contact humain, important évidemment dans toute situation d’apprentissage, mais vraiment irremplaçable lorsqu’il s’agit du langage et de la communication dont dépend l’identité sociale nouvelle que ces jeunes ont à construire dans ce nouveau pays où ils doivent réapprendre à vivre.

Le premier intérêt du film est de nous montrer concrètement les méthodes employées et de nous permettre d’apprécier leur efficacité. La mise en place de situations de communication au sein du groupe par exemple, à partir du vécu de chacun. Ou l’utilisation de chansons. Pas facile de comprendre le texte de Louise Attaque ! Pas facile non plus de chanter devant les autres. Les relations garçons-filles ne sont d’ailleurs pas toujours évidentes, étant donné les différences culturelles. C’est aussi le rôle de Marion d’aplanir les petits conflits qui surgissent dans le groupe, de les utiliser même comme moteur dans la vie collective, de les mettre au profit des buts communs. Et puis, il y a les situations de communication authentiques, insérées dans la vie quotidienne : prendre un rendez-vous au téléphone, demander un plan du métro au guichet. On comprend les hésitations, mes angoisses même, que peuvent ressentir ces jeunes étrangers devant ces tâches si faciles en apparence mais qui demandent un effort considérable pour faire le saut dans la vraie vie. Là, à l’évidence, c’est le soutien de tout le groupe qui est porteur. Et c’est bien parce que l’enseignante utilise au maximum cette cohésion de groupe qu’elle peut atteindre cet objectif qui, au départ, pouvait paraître insensé : faire apprendre le français en six mois à des non-francophones d’origines multiples et qui n’ont pratiquement pas de références culturelles communes.
Apprendre la langue française, au-delà de sa fonction utilitaire, c’est aussi rentrer dans une culture différente de la sienne. D’où l’importance donnée dans le film aux visites de Paris, ses lieux mythiques, de la Tour Effel au Louvre. Des clichés peut-être pour les Parisiens, mais pour le groupe de jeunes du film, il y a dans ce contact direct avec ce qui n’était jusqu’alors qu’un rêve une prise de conscience qu’il est possible de vivre en France, comme les Français.
Quelle qu’en soit l’importance, le film ne se limite pas à cette perspective pédagogique. Son propos est plus fondamentalement politique. Depuis la révolution française, la France a la réputation mondiale d’être une terre d’asile. Est-ce bien toujours le cas aujourd’hui ? Les Français savent-ils accueillir les étrangers ? Tous les étrangers ? D’où qu’ils viennent ? Savent-ils s’ouvrir aux différences, s’enrichir de la diversité ? Le film ne propose pas une critique des politiques actuelles concernant l’immigration. Il montre, simplement pourrait-on dire, ce qu’est la réalité de ces jeunes qui arrivent en France avec l’espoir, le dernier espoir, d’une vie meilleure, d’une vie tout court. Par là il suscite la réflexion. Il ne délivre pas à proprement parler un message. Il met le spectateur en face d’une réalité présente dans notre pays. Il met le spectateur en face de sa propre réalité !