Reporters, Raymond Depardon. France, 1981, 90 minutes.
Lorsqu’il réalise Reporters, en 1981, Raymond Depardon a déjà derrière lui une longue carrière de photojournaliste. Il a été cofondateur de l’agence Gamma qu’il a quittée pour rejoindre Magnum. La couverture de l’actualité, il en connait toutes les contraintes, toutes les ficelles. Ses images ramenées d’Afrique, du Liban, de Berlin au moment de la chute du mur, pour ne citer que quelques-unes parmi les plus connues, n’ont pas grand-chose à voir avec les photos de stars du showbiz qui sont le plus souvent l’œuvre de ceux qu’on appelle, de façon très négative, des paparazzi, ces voleurs d’images à l’affut des moindres faits et gestes des célébrités qui peuvent faire vendre des journaux « people ». Pourtant ils font eux-aussi partie de la profession, dans laquelle ils n’ont pas toujours le beau rôle. Leur réputation sulfureuse doit-elle conduire à les ignorer, voire à les mépriser. Sans prendre ouvertement leur défense, sans justifier non plus leur existence, le film de Depardon leur laisse une place, comme aux autres photographes de presse en principe plus recommandables, puisqu’il vise essentiellement à mettre en lumière toutes les facettes d’un métier dont il se sent si proche. Devenu cinéaste, Depardon, reste reporter dans l’âme. Ce dont il fait dans son film le reportage, c’est ce travail de photographe qui fut aussi le sien. Il peut le faire parce qu’il le connaît parfaitement, mais en même temps, au moment où il le fait, il n’est plus photographe de presse. Tout l’intérêt de son film réside dans cette position d’extériorité, mais qui doit tellement au vécu précédent, à l’intérieur de la profession. C’est parce qu’il a été lui-même photographe qu’il peut filmer avec tant d’authenticité l’exercice du métier. C’est parce qu’il n’est plus photographe qu’il peut réaliser un vrai film sur les photographes de presse, un film qui soit en même temps un film sur la vie politique et culturelle de Paris en 1981 avant l’arrivée de la gauche au pouvoir ; et une grand film sur le journalisme, sur ce métier si difficile parce qu’il est sans cesse guetté par les dérives de la démagogie ( traiter les hommes politiques comme les stars du showbiz) mais en même temps parce qu’il est, dans son éthique même, un pilier de la démocratie.

Avant Reporters, Depardon avait déjà réalisé un film sur le journalisme, Numéros 0, où il suit au sein de la rédaction la préparation du lancement d’un nouveau quotidien national. Ici, il sort des bureaux, se rend sur le terrain, les rues de Paris où il ne se passe pas toujours des choses extraordinaires, mais où il faut bien trouver l’occasion de faire quand même des images pour alimenter la demande grandissante de la presse magazine. Pour cela, il y a bien sûr les passages obligés, la routine, le conseil des ministres du mercredi, les visites chez les commençants du maire de Paris, Jacques Chirac. Dans toutes les situations, la position de Depardon cinéaste est originale. Filmant les reportes qui photographient les hommes politiques, il filme aussi ceux-ci, mais sous un angle de vue inédit. Un jeu subtil entre le champ et le hors-champ. Ils peuvent être présents à l’image sans qu’on perçoive les photographes faisant aussi des images d’eux. Mais le cinéma, c’est aussi les mouvements de caméra, et Depardon les utilise pour passer des uns aux autres, des photographes à ceux qu’ils photographient, réussissant aussi à faire entrer dans le cadre en même temps les deux côtés de l’appareil photographique.

Le travail de reporter, c’est aussi « la planque », l’attente que le « gibier » sorte. Des moments que Depardon met à profit pour discuter avec ceux qui sont son gibier à lui, les reporters. Dans cette mise en cascade, au fond, tout le monde peut-être le gibier de quelqu’un d’autre. Mais celui qui a la position la plus confortable, c’est le cinéaste. Lui, il n’est pas un paparazzi. Lui, il fait du cinéma. Lui, il n’a pas à utiliser des moyens à la limite de la légalité pour faire ses images. Lui, il peut avoir bonne conscience.
Filmant le travail de photographes, Depardon nous montre que le cinéma ce n’est pas de la photographie. Son film est une véritable leçon de cinéma.
Ce film a obtenu le César du meilleur documentaire 1982 et a été nommé aux Oscars 1982.