Les Invisibles, Sébastien Lifshitz, 2012, 115 minutes.
Les Invisibles n’est pas un film sur l’homosexualité. C’est un film sur les homosexuels. Des homosexuels particuliers que le cinéaste nous propose de rencontrer personnellement. C’est eux, hommes et femmes de la génération des années 20-30, qui nous racontent leur vécu, les aléas de leur vie, leurs tourments, leurs souffrances, leurs espoirs, leurs joies, leurs désirs. Car jamais leur discours n’est monolithique. Le film, dont la durée approche deux heures, prend le temps de la nuance, parfois même de la contradiction. En tout cas il échappe à tout manichéisme. Dans la vie de ces couples, ou de ces personnes qui se retrouvent seules (oserait-on dire célibataires ?), rien n’est tout blanc ou tout noir. Mais tous semblent avoir conquis une forme de sérénité qui peut nous faire dire que tous ont, d’une façon ou d’une autre, connu le bonheur. Bonheur de vivre et bonheur d’aimer. Par là, le film est une grande leçon de savoir vivre.

Les Invisibles n’est pas un film historique. Mais pourtant, à travers le récit de vie de ses personnages, il nous raconte aussi l’histoire non officielle de la place de l’homosexualité dans la société française sur presque un siècle. Depuis le temps où la vision religieuse (chrétienne) de la sexualité était dominante et considérait l’homosexualité comme un péché. Depuis le temps aussi où la psychiatrie et la psychanalyse l’analysait comme une déviation et la renvoyait peu ou prou du côté de la maladie. Tant d’homosexuels ont donc du lutter pour être simplement acceptés tels qu’ils étaient. Dans leurs familles, où dominait souvent l’image de l’anormalité. Dans leur profession, puisque nombreux sont ceux qui ont fait l’expérience de perdre leur emploi pour seule cause d’homosexualité. Le film montre bien la dureté de cette lutte, surtout lorsqu’elle restait individuelle. Il montre aussi les évolutions, lentes mais irréversibles, qui se sont dessinées à partir des années 70. Grâce aux actions contestatrices des femmes en lutte pour la légalisation de l’avortement, grâce aux appels à une action révolutionnaire en particulier du FAHR (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire). Les images d’archives de manifestations parisiennes ponctuent le récit des ex-militantes et militants présents dans le film. Elles permettent de replacer les histoires personnelles dans la grande Histoire, celle de la conquête de leur reconnaissance sociale.

Les Invisibles est un film humaniste. En donnant la parole aux homosexuels, en mettant en images cette parole, en les rendant visibles à ceux qui les ont jusqu’à présent ignorés et rejetés, il dit simplement que les homosexuels sont des êtres humains, des femmes et des hommes qui ont droit de vivre dans la paix et le bonheur et non plus dans la honte et la culpabilité.
