Etre là. Régis Sauder, 2012,97 minutes.
Etre en prison. Des détenus et des soignants. Les soignants, psychiatres, infirmières, ergothérapeutes, à côté des détenus, avec les détenus. La prison, c’est la maison d’arrêt des Baumettes à Marseille. Une prison comme les autres sans doute, surpeuplée. Une prison avec les souffrances de ceux qui doivent prendre sur eux pour tenir, pour ne pas sombrer, mais qui n’y arrivent pas toujours. Ceux qui ne peuvent plus supporter la cohabitation à deux dans une cellule, ou les fouilles des gardiens, ou simplement la présence des barreaux et le bruit des clés dans les serrures. Alors, il s’ils ne peuvent plus continuer de vivre en prison, il n’y a qu’un seul recours : le service médical. Pour quels soins ? Et cela suffit-il ?

Le film de régis Sauder est construit à partir de deux choix initiaux qui lui donne tout son sens. Le choix du noir et blanc et celui de ne filmer parmi le personnel médical que des femmes. Les détenus, eux, ne sont que des hommes.
Le choix du noir et blanc est d’abord un choix esthétique. Mais c’est aussi nous dire que la vie en prison, et le travail qui peut s’y dérouler, n’a pas de couleur. Les images pourtant ne sont pas sombres, tout au contraire. Ce qui domine, c’est la blancheur. Non pas la lumière, qui serait jaune. Mais un blanc poussé à la limite de la surexposition. Un blanc qui laisse très peu de place au gris et pratiquement aucune au noir. Cela est particulièrement visible dans les plans où la caméra s’attarde sur les barreaux, les portes de fer, les grillages de toutes sortes. Mais c’est aussi le cas dans les images de visages. Non les visages des détenus qu’il est de toute façon interdit de filmer. Les visages dans le film ce sont ceux de ce personnel soignant, un personnel entièrement féminin donc, dont les gros plans soulignent l’expressivité. C’est à travers cette appréhension visuelle de leur personnalité que se fait le contact avec la réalité carcérale et donc avec les détenus, ce qui a pour effet de ne pas les réduire à un matricule ou à une seule voix. Une voix certes chargée d’émotion, de souffrances, de colère aussi, mais une voix qui resterait désincarnée si elle n’était pas adressée à un interlocuteur, une interlocutrice en l’occurrence, qui reçoit cette parole dans le cadre de l’exercice d’un métier. Mais rien ne dit que ce soit uniquement par devoir professionnel.

Ce personnel soignant, Régis Sauder le filme de deux façons. Dans l’exercice du métier d’abord, lors d’une consultation avec un détenu, lors de la distribution des pilules le soir, ou lors d’une intervention en urgence dans une cellule ou dans un endroit quelconque de la prison lorsque ça se passe mal. La majorité des séquences filmées lors de ces activités professionnelles nous présente des situations de face à face, soulignant la spécificité de la relation médicale, en particulier la relation psychiatrique, en prison. Car se pose inévitablement pour le soignant la question de la limite de son intervention thérapeutique. Des patients privés de liberté sont-ils des patients comme les autres ? La seule thérapie vraiment efficace ne consisterait-elle pas à redonner le statut d’homme libre au détenu ? C’est peut-être le sens de ces séances collectives d’ergothérapie, une parenthèse bien utile pour briser, ne serait-ce que de façon provisoire, la vacuité de la vie en prison.

A côté de ces séquences professionnelles, le film donne la parole au personnel soignant de la prison d’une tout autre façon. Sauder les filme en gros plans muets, ajoutant leur parole en voix off, comme une voix intérieure. Ces récits de vie nous dise une réalité qu’il est bien difficile d’imaginer de l’extérieur de la prison. Ce sont des récits écrits, extrêmement rédigé donc, lus d’une voix plutôt neutre. Il est interdit de filmer l’entrée du personnel dans la prison. Un de ces récits va le décrire dans le moindre détail. Chaque jour, la répétition des mêmes gestes, l’attente devant chaque porte, qui finit par créer une grande lassitude. Car dans tous ces récits, une interrogation se fait de plus en plus insistante. Jusqu’à quand est-il possible de rester dans cette fonction ? Partir travailler ailleurs, autrement ? Au fur et à mesure du déroulement du film, ces femmes semblent de plus en plus fatiguées, moins dynamiques. Ce qui ne remet pas en cause leur conscience professionnelle, mais il serait bien naïf de laisser croire que l’exercice de ce métier dans ses conditions particulières peut les laisser indemne.

La prison est un milieu violent. Elle ne peut être filmée qu’avec une certaine violence des images. C’est ce que nous dit l’incipit du film de régis Sauder. Un montage sec, agressif. Des bruits assourdissants de portes. Des images qui nous disent qu’on ne rentre pas dans une prison, même si c’est en simple visiteur, même si c’est là son métier, sans prendre le risque de se perdre soi-même.
