P COMME POUTINE.

Le Système Poutine. Jean-Michel Carré, 2007, 98 minutes.

         Réalisé en 2007, c’est-à-dire à la fin de son second mandat présidentiel, le film que Jean-Michel Carré consacre au maître du Kremlin s’achève sur une interrogation. Poutine modifiera-t-il la constitution pour pouvoir briguer un troisième mandat consécutif ou trouvera-t-il un successeur qui lui permettra, d’une façon ou d’une autre, de rester le seul maître de la Russie contemporaine ? Le film n’a pas de réponse et ne fait d’ailleurs pas de pronostic. Mais une chose est sûre, comme les Tzars de la Russie impériale, comme les premiers secrétaires du parti communiste, Poutine ne disparaîtra pas du devant de la scène politique. Il n’existe pas de système de retraite des dirigeants russes. Une suite au Système Poutine est donc prévisible dès sa dernière image. La seule inconnue étant de savoir sous quelle forme il continuera à exercer le pouvoir.

         Le film de Jean-Michel Carré n’est pas un film d’historien. Carré n’est pas historien et ne se présente pas comme tel. Il utilise les méthodes du film d’histoire, en particulier dans l’utilisation des archives, mais il se situe tout autant du côté du journalisme d’investigation par le choix des personnalités interviewées, témoins et anciens acteurs de la vie politique russe depuis la chute de l’Union Soviétique. Le film ne donne pas la parole à Poutine ou à ses proches partisans qui pourraient alors expliquer et justifier son action. La posture d’analyste critique et donc d’opposant à Poutine du réalisateur est claire dès le pré-générique du film. Carré y énonce les faits qui pour lui condamnent sans appel la politique de Poutine. : le nombre de morts de la deuxième guerre de Tchétchénie, celui de l’intervention des forces spéciales lors de la prise d’otages de l’école de Beslan et l’assassinat d’Anna Politkowskaïa, 22° journaliste éliminée par la violence depuis l’arrivée de Poutine au Pouvoir. Deux chiffres suffisent alors à dresser son bilan politique. 25% de la population russe vit sous le seuil de pauvreté et chaque année la corruption rapporte 300 milliards d’euros aux fonctionnaires.

         La totalité du film concerne l’exercice du pouvoir par Poutine. Il ne donne pas la parole à ces russes qui le plébiscitent lors de sa deuxième élection mais qui ne bénéficient pas des richesses que la nouvelle politique économique du pays permet d’accumuler. Les opposants interrogés sont pratiquement tous en exil, sauf peut-être l’ancien champion du monde d’échecs, Kasparov, que sa renommée mondiale protège sans doute de ne pas subir le même sort que les autres. Comme les historiens et les politologues interviewés, les intervenants sont des pièces à charge dans ce procès qui ne dit pas son nom mais qui fonctionne bien comme un réquisitoire.

         Le film soutient deux thèses que tous les éléments constitutifs, archives commentées et interventions de personnalités, concourent à démontrer. En premier lieu ; la carrière et la politique de Poutine ne peut se comprendre qu’en référence au KGB, qui l’a formé et dont il est devenu le chef. La deuxième thèse définit la mission dont Poutine serait investi, ou plus précisément dont il se sent investi : la reconstruction de la Grande Russie. Toute sa politique ne viserait au fond qu’à redonner à la Russie la place dans le monde que l’URSS occupait du temps de la guerre froide. Pour cela, tous les moyens sont bons, de la guerre en Tchétchénie à la main mise de l’État sur l’énergie (gaz et pétrole), en passant par l’alliance contre le terrorisme avec G W Bush.

         Bien qu’entièrement centré sur Poutine, le film n’en dessine pas un portrait. Il ne vise pas à éclairer sa personnalité ou à mettre en lumière son caractère. Sa vie privée reste dans l’ombre. Les images de sa jeunesse et de son ascension politique le montrent toujours au second plan, derrière le maire de Saint Pétersbourg ou à côté de Boris Eltsine ; Mais il est toujours le mieux placé pour observer et tirer les leçons des événements dont il est témoin. Une des images qui ouvrent le film et qu’on retrouvera dans sa conclusion le montre gravissant les escaliers intérieurs du Kremlin et marchant sur le tapis rouge au milieu des applaudissements des invités à la cérémonie d’investiture. Ce qui ressort de tout le film, c’est qu’à ce moment-là, ce qui doit le plus compter pour l’homme Poutine au somment de sa gloire et de sa puissance, ce n’est sûrement pas le sentiment d’exaltation qu’il peut ressentir. Même si le film ne le dit pas explicitement, nous pouvons comprendre que ce à quoi pense alors Poutine c’est uniquement à sa façon de marcher. C’est cela seulement que verra la population russe.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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