M COMME MENAGE – Sur internet.

Clean with me (after dark). Gabrielle Stemmer, France, 2019, 21 minutes.

Elles briquent, récurent, font briller, dépoussièrent ; elles passent l’aspirateur, le balai, le chiffon ; dans la cuisine, les chambres, le salon, partout dans la maison … C’est la guerre à la saleté, à la poussière, aux traces sur les meubles, le frigo, la machine à laver, les tables, les cuisinières. Toute la journée, elles nettoient, lavent, astiquent. Toute la journée et même parfois tard dans la nuit. Elles sont jeunes, belles, dynamiques. Elles ont une chaîne YouTube où elles se filment en train de faire le ménage. Des films parfois de plus d’une heure, qu’elles commentent avec entrain. Elles expliquent comment elles s’y prennent, dans quel ordre, avec quel produit. Et toujours avec le sourire.

Des sourires qui pourtant sur d’autres images, d’autres comptes YouTube ou Instagram, finissent par se figer. Ces sourires ne seraient-ils que de pure façade ?

Il n’est pas besoin de chercher bien longtemps sur Internet pour tomber sur de tout autres sons de cloche. Elles sont toujours belles et jeunes devant leur caméra, mais elles sourient beaucoup moins. Elles ont toujours besoin de parler et comme elles n’ont pas d’amies à qui se confier, elles parlent dans un micro et publient leurs confessions sans se poser la question de qui les écoutera. Car la réception de leurs messages n’a aucune existence. Ce qui compte, c’est de pouvoir enfin parler. Se libérer de sa souffrance, de ce poids de la vie, de cette solitude de plus en plus difficile à supporter.

Elles voudraient ne pas pleurer, mais il est bien difficile de retenir ses larmes, ses sanglots, quand on pleure toute la journée. Alors elles racontent leur vie en pleurant. Leur vie de femmes au foyer, dans un cadre souvent luxueux (la middle class américaine). Elles se sont mariées jeunes, avec un militaire qui tout aussitôt est parti au loin. Elles ont eu des enfants, qui au début pouvaient très bien combler leur solitude, mais qui très vite sont aussi devenus insupportables. De toute façon, il n’y a pas d’issue, il n’y a plus d’issue. Leurs vidéos sont sans doute des appels à l’aide. Mais elles savent très bien que personne ne répondra, et que les commentaires qui se veulent réconfortants ne sont que de pure forme.

N’y -t-il donc pas d’autres moyens qu’internet pour lutter contre l’anxiété, la dépression ? Est-ce un moyen efficace ?

Le film de Gabrielle Stemmer est un montage particulièrement cohérent – et pertinent – d’extraits de ces confessions de femmes au foyer, allant du rire aux pleurs, du clinquant style publicité au désarroi le plus profond. Ce n’est pas à proprement parler un film féministe, bien qu’en creux c’est bien la condition que la société masculine fait à ces femmes qui est en jeu. Des femmes qui ne se posent pas ce type de questions, qui continuent donc de souffrir en silence. En silence, malgré le flot de paroles amères et de larmes sincères qui envahissent internet. Internet qui est ici, encore plus qu’ailleurs sans doute, le monde de l’illusion.

Festival Filmer le travail, Poitiers, 2021.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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