No sex last night. Greg Shephard et Sophie Calle, France, 1996, 76 minutes.
C’est un film à deux mains. Ou plutôt deux films qui finalement n’en font plus qu’un. Le film d’un couple qui joue un drôle jeu de couple : se marier, ne pas se marier ? Chacun filme l’autre. C’est facile, ils sont dans la même voiture. Ils font le même voyage, une traversée des États-Unis depuis new York jusqu’à la Californie. En passant par Las Vegas. Peut-être se marieront-ils à Las Vegas…

Lui, c’est Greg, américain, photographe, artiste.
Elle c’est Sophie, française, artiste. Ses installations et ses performances sont célèbres. Elle s’est fait un nom dans le monde de l’art contemporain.

Ils partent à travers des États-Unis à bord d’une vieille Cadillac. Un voyage qui appelle immédiatement la référence au road movie. Mais un voyage qui n’ouvre guère la possibilité d’admirer le paysage. Ni de connaître les gens que l’on croise. Le voyage est plutôt orienté vers les pannes successives de la voiture et le prix de chaque réparation. A quoi s’ajoute ce qui semble être la préoccupation unique de Sophie : Greg acceptera-t-il de se marier avec elle ?

Le film que nous voyons réunit donc des fragments des deux films réalisés par l’un et l’autre. Deux films qui fusionnent donc parce qu’ils se répondent systématiquement. Ils s’entrecroisent au point de pouvoir facilement ne faire plus qu’un. Un récit commun, mais où chacun garde sa liberté d’expression.

La bande son propose des fragments de dialogue, peu nombreux. Mais surtout des apartés où chacun évoque l’autre, prend position sur leur aventure. Des commentaires brefs qui veulent rendre compte de leurs pensées, de leur état d’esprit et de leur décisions – s’ils en prennent. Des commentaires qui dans sa bouche à elle peuvent se résumer par le refrain quotidien : no sex last night.

Finalement ils se marieront à Las Vegas, sans descendre de leur voiture et passeront leur nuit de noces dans celle-ci. Pourtant ils finiront par abandonner la vieille Cadillac à Los Angeles. Tant pis pour le mythe de la belle américaine éternelle.

Plus qu’un film de Greg Shepard et Sophie Calle, No sex last night n’est-il pas en définitive une performance de Sophie Calle, uniquement. N’est-ce pas elle qui a monté le voyage, qui a introduit le pseudo suspens sur leur mariage, qui a alors décidé de la forme à donner au film ? Si elle ne le dit pas tout ici renvoie aux composants essentiels de son art : la dimension autobiographique, le récit personnel et intime, le voyage comme poursuite d’un but unique. Dans tout cela, Greg n’a qu’une place secondaire. Sa place se réduit à la possibilité de dire oui ou non à la proposition de mariage. Il va d’ailleurs occuper cette place de son mieux, passant du non au oui sur la question du mariage et jouant finalement tout simplement son rôle de marié.
Avec Sophie Calle, le cinéma peut prétendre jouer dans la cour des performances de l’art contemporain.