P COMME PREMIER MAI

Rêve de Gotokuji par un premier mai sans lune. Natacha Thiéry, 2020, 46 minutes.

Ce film est une lettre, adressée par la cinéaste à un ami japonais. Et l’on pense immédiatement à Chris Marker. D’autant plus que le film se terminera à Tokyo, dans un temple de chat, ce qu’aurait apprécié cet amoureux des chats – et du japon – qu’était Chris Marker.

Un film donc en première personne, très littéraire, mais aussi très engagé politiquement. Pour cause de pandémie, il n’y a pas eu de défilé du Premier Mai à Paris, ni à Tokyo, ni dans le reste du monde en 2020. Un manque, un vide, difficile à combler pour la cinéaste.

Mais s’il n’y a pas de manifestation, le film de se veut quand même un film de protestation, de colère, de contestation. Refus d’accepter de se taire, de s’enfermer chez soi sans rien dire.

Pourtant les images du confinement que le film nous offre sont souvent presque bucoliques, comme ce plan récurent sur les fleurs du jardin vues à travers la fenêtre. Il y a aussi des oiseaux dans le ciel ou sur les branches des arbres.

Mais lorsque la cinéaste sort prendre l’air dans les rues de Paris (pas plus d’une heure et dans la limite d’un kilomètre autour de son domicile, comme elle le rappelle), c’est pour filmer les SDF sur les trottoirs, ou les tentes des réfugiés, ou les murs qui crient, comme elle dit. Des cris pour dénoncer, par ces collages qui deviennent un mode d’expression nouveau, les féminicides de plus en plus inacceptables. Et puis sur les balcons, aux fenêtres des appartements, tous les soirs, il y a ceux qui applaudissent ou qui chantent, ou qui tapent sur des casseroles. L’esprit du Premier Mai n’a pas totalement disparu.

Pas de Premier Mai en 2020, mais le cinéma permet de se remémorer les défilés anciens. Et puisque la cinéaste écrit à un ami japonais, c’est le Premier Mai de Tokyo, en 2018, qu’elle va inclure dans son film. Une longue séquence où les tambours, les danses, les chants, sont une bruyante réponse au silence parisien. Oui, les japonais sont tout aussi inventifs que les français dans la mise en spectacle populaire de la revendication. Et les maquillages et autres déguisements ne sont pas en reste, dans ce pays où la mode du cosplay ne se dément pas.

Un défilé particulièrement réjouissant donc pour la cinéaste. Elle n’a qu’un seul regret : on n’y chante pas l’Internationale. Alors elle va combler cette lacune, au temple des chats, où elle filme trois petites statuettes de l’animal (omniprésentes dans les boutiques japonaises) en chantonnant comme pour elle-même le célèbre chant révolutionnaire. Et puis le hasard fait toujours bien les choses dans le cinéma. Preuve cette possibilité de filmer un vieil homme qui rentre chez lui après la manifestation. Il titube un peu à cause des bières qu’il vient de boire. Mais cela ne l’empêche pas de chanter. L’Internationale bien sûr.

Gotokuji, le temple des chats, propice au rêve. Le film ne renonce pas à l’espoir de jours meilleurs.

Cinéma du réel, Paris, 2021.

Par jean pierre Carrier

Auteur du DICTIONNAIRE DU CINEMA DOCUMENTAIRE éditions Vendémiaire mars 2016. jpcag.carrier@wanadoo.fr 06 40 13 87 83

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