(g)rêve général(e). Matthieu Chatellier et Daniela De Felice, 2008, 95 minutes.
En 2006, les étudiants se révoltent contre le projet de loi instaurant le CPE (Contrat Première Embauche) perçu comme la précarisation de leur avenir professionnel. Ils occupent les universités partout en France. Le film de Matthieu Chatellier et Daniela De Felice ne cherche pas à rendre compte de l’ensemble de cette lutte. Il se focalise sur un seul lieu, Caen, dont les universités sont bloquées. Une lutte filmée de l’intérieur, au côté des étudiants, partageant leurs préoccupations actuelles et leurs inquiétudes sur l’avenir.

Un film de lutte, donc. Nous suivons l’organisation du blocage, les comités qui gèrent les lieux pour dormir, les repas, la rédaction des communiqués à la presse et des tracts pour les manifestations. Un travail effectué souvent dans l’enthousiasme, surtout au début. Les étudiantes et les étudiants qui sont là n’hésitent pas à présenter leur position à la caméra. Des prises de paroles souvent très réfléchies, argumentées, manifestant un engagement sincère. Beaucoup sont près à aller jusqu’au bout.

Et puis il y a les assemblées générales, dans des amphis pleins à craquer et où il est parfois difficile de se faire entendre. Mais la prise de son est ici particulièrement efficace et nous pouvons très bien suivre ces déclarations pleines de conviction souvent applaudies généreusement. Pourtant, des désaccords voient très vite le jour, en particulier sur la poursuite du blocage. Un nombre de plus en plus important d’étudiants veulent reprendre les cours pour pouvoir avoir des chances de réussir leurs examens. Le référendum organiser leur donne d’ailleurs la majorité des votes. Mais ceux qui ne veulent pas renoncer à cette forme de lutte vont s’appuyer sur le nombre important de non- participation au vote pour poursuivre le blocage.

Si la majorité du film se déroule à l’intérieur des bâtiments de l’université, il n’était pas possible de ne pas filmer les manifestations en ville. Les premières se déroulent sans encombre, mais très vite nous assistons au traditionnel face à face avec les forces de l’ordre. S’il y a bien des coups de matraque – une jeune fille est blessée – et des grenades lacrymogènes, la violence n’atteint pas le degré de celle filmée lors du mouvement des gilets jaunes ou même des nuits des barricades au quartier latin en mai 68. On ne voit jamais un étudiant lancer des pierres sur les CRS. Pourtant, dans les bâtiments occupés, la vigueur mise à consolider la fermeture des portes prouvent leur détermination.

En voyant le film, aujourd’hui ou même l’année de sa réalisation, le spectateur n’a pas de doute sur l’issue du conflit. Il est pourtant construit pour ménager un certain suspens, ponctué par les interventions télévisées du Président de la République ou du premier ministre. Mais c’est surtout la fin du blocage qui traine en longueur. Des étudiants expriment même leur rancœur « tout ce qu’on a de la république, c’est les CRS et les lacrymos ».

Pourtant la dernière séquence – sur le toit de l’université où il s’agit d’enlever le drapeau de corsaire qui était devenu un des symboles de la lutte – n’est pas totalement gagnée par la tristesse, malgré le son du sax qui accompagne cette cérémonie. Le film a montré des étudiants conscients des difficultés de la lutte et, malgré de titre, plutôt réalistes. Sil y a de l’utopie dans certains de leurs propos – concernant l’autogestion par exemple – ce n’est pas vraiment un appel au grand soir. Leurs revendications sont plutôt concrètes et immédiates, comme l’arrêt de la surconsommation. L’époque n’est pas encore sensibilisée au problème du climat. Si l’avenir est inquiétant, c’est surtout au niveau des problèmes d’emploi et de chômage. Les consciences politiques restent encore marquées par le clivage gauche / droite. L’écologie en est la grande absente.
Un document inestimable sur les luttes étudiantes en France. Un film d’une grande sensibilité sur une jeunesse dont l’aspiration au changement est particulièrement stimulante.