Joris Ivens n’a pas réalisé que des films politiques. Ses premiers films peuvent être qualifiés de poétique et se caractérisent avant tout par le travail sur la qualité des images, que ce soit dans le choix des cadrages ou dans la beauté esthétique du noir et blanc.
Quelques exemples de ces premières œuvres.
Etude de mouvements à Paris. 1927.
Des bus et des voitures qui foncent sur nous. Devant l’Opéra ou sur les boulevards. Vus de dessus, ou de côté, avec déjà la fumée des pots d’échappement. Les agents à cheval qui essaient de régler tout ça. Et sur les trottoirs ou sur le bord des rues, les passants, pressés, ou qui essaient de traverser sans trop prendre de risques. C’est qu’il y a beaucoup de circulation, et même des embouteillages ! Tout au long du film, la variété des cadrages est saisissante. Depuis les plans fixes au bord du trottoir jusqu’aux panoramiques suivant les véhicules devant les arcades de la rue de Rivoli, en passant par les caméras embarquées dans les taxis, qui préfigurent en quelque sorte les caméras subjectives. En 4 minutes, on comprend ce qu’une ville comme Paris a d’éternel : le mouvement, on dirait même mieux, l’agitation ou la trépidation de la vie. Comme s’il n’y avait jamais eu de Paris sans automobiles !
La pluie. 1929
Au commencement les nuages dans le ciel, et le vent qui pourrait les disperser mais qui au contraire les accumule. Les gouttes d’eau se multiplient sur l’asphalte et les canaux. Les parapluies font leur apparition, jusqu’à occuper tout le cadre comme dans ce magnifique plan d’une rue, en plongée, où les passants abrités sous leur toile ne semblent être là que pour l’harmonie du tableau. Tout au long du film on pense au poème d’André Breton : « la pluie seule est divine ». Un film qui peut vous réconcilier avec le mauvais temps.
Le pont 1929. Symphonie industrielle 1931.
Il y a dans tous ces premiers films une fascination pour la vie moderne. Les moyens de transport sont omniprésents, des automobiles aux trains à vapeur, sans oublier les bateaux. De même les constructions où l’acier domine, ou les engrenages et autres mécanismes sophistiqués, détaillés avec minutie comme ceux qui permettent au pont de s’élever dans les airs. Cet éloge de la mécanisation et au-delà de la vie industrielle culmine dans le film consacré aux usines Philips. Toutes ses activités sont approchées et décrites avec toujours autant de précision, de la fabrication d’une simple ampoule au montage des appareils radio ou autres électrophones. Mais dans cet univers mécanique, la présence humaine n’est pas oubliée. Filmer l’entreprise c’est aussi s’arrêter sur le travail des ouvriers. Le Joris Ivens cinéaste engagé et militant n’est pas loin.
La Seine rencontre Paris.1934
Un cinéaste sans inspiration aurait fait un documentaire banal : en suivant le parcours du fleuve, en s’arrêtant sur ses usagers, des pécheurs aux péniches, en filmant en travelling et en contre-plongée les immeubles des quais et les monuments, avec les inévitables plans sur la Tour Effel et Notre Dame. Il y a bien tout ça dans le film d’Ivens. Sauf que la banalité et le convenu est ici magnifié par la poésie des images et un montage qui semble toujours aller de soi mais qui justement tire sa force de cette simplicité apparente. La Seine d’Ivens, c’est la confrontation du dur labeur des ouvriers et des déambulations des amoureux.
En 1934, le cinéma n’est plus muet. Ici le commentaire est signé Jacques Prévert et il est dit par Serge Reggiani. La dimension poétique de cette première partie de l’œuvre du cinéaste trouve ici sa consécration.
