Les Groupes Medvedkine
En 1968, les cinéastes français n’ont pas attendu le mois de mai pour se mobiliser. En février, ils descendent dans la rue pour soutenir Henri Langlois qui vient d’être limogé de la cinémathèque française dont il était le fondateur et le directeur. Un abus de pouvoir du gouvernement gaulliste, et de son ministre de la culture, André Malraux, jugé inadmissible. Lorsque éclatent en mai les manifestations étudiantes suivies d’une vague de grève générale dans les entreprises et les services publiques, beaucoup de cinéastes et professionnels de l’audio-visuel vont immédiatement répondre présents. Leur action spécifique se traduira par le lancement des Etats généraux du cinéma français, l’occupation des écoles de la rue de Vaugirard (Ecole nationale de la photographie et de la cinématographie) et de l’IDEC (ancêtre de la Fémis) par leurs étudiants, la contestation du festival de Cannes qui obtiendra son arrêt et le lancement de la grève dans les studios et les laboratoires. En 68, le cinéma français est en lutte.

Pour des cinéastes comme Chris Marker et Jean-Luc Godard, le cinéma doit être une arme au service de la lutte révolutionnaire. Ils décident alors de prendre contact avec les ouvriers dans les usines en grève et les incitent à filmer leurs luttes pour les populariser. Pour cela, ils mettent à leur disposition des caméras et autres matériels, les initient à leur maniement technique et participent aux phases de tournage. C’est cette perspective qui est à l’origine de la création des groupes Medvedkine, d’abord à Besançon, à Sochaux ensuite.
Alexandre Medvedkine était un cinéaste soviétique, dont le film le plus célèbre est Le Bonheur (1932), une comédie grinçante sur les paysans russes d’après 17. Il est aussi l’instigateur du Ciné-train, une action originale mettant le cinéma au service de la révolution bolchevick. Medvedkine parcourt les campagnes à bord d’un train dont un compartiment est transformé en laboratoire de cinéma. Le jour, il filme les actions des ouvriers et des paysans au service de la révolution, développe la nuit et projette le film le lendemain aux intéressés. C’est cette opération qui est à l’origine du choix par Chris Marker de la dénomination des groupes d’ouvriers-cinéastes en France. Marker consacrera d’ailleurs plus tard un film à son ami Medvedkine, Le Tombeau d’Alexandre (1992).

Marker est bien plus qu’un conseiller des groupes Medvedkine, il en est la véritable cheville ouvrière. En 1967, il avait participé à la réalisation collective d’un film au titre prémonitoire, A bientôt, j’espère, avec les ouvriers de la Rhodiaceta, filiale textile de Rhône-Poulenc en grève « sauvage » avec occupation de l’usine. Il participe début 68 à la création de la coopérative de diffusion SLON (acronyme de Service de Lancement des Œuvres Nouvelles qui signifie « éléphant » en russe) qui produira et distribuera le film.
Le sous-titre de A bientôt, j’espère précise sa visée : « La condition de l’ouvrier français en 1968 ». Des entretiens avec des syndicalistes sont entrecoupés par des images de meeting et de manifestations. Les militants interrogés dénoncent les conditions de travail, les cadences, la répression patronale qui opère des licenciements. Les propos qui concluent le film seront jugés subversifs par la commission de censure qui n’accordera au film qu’un droit d’exploitation non-commerciale. « Je veux dire aussi aux patrons qu’on les aura, c’est sûr (…) on vous aura, c’est la force des choses, c’est la nature…Et à bientôt, j’espère. »

Les principaux films produits par Slon pour le groupe Medvedkine de Besançon et celui de Sochaux sont les suivants :
- Besançon. 1968. Tourné devant l’usine d’horlogerie Yema où une jeune déléguée syndicale CGT s’adresse aux ouvriers en grève pour dénoncer les manœuvres de la direction.
- Classe de lutte. 1968-1969, dont le slogan inaugural résume bien l’orientation du groupe : « Le cinéma n’est pas une magie. C’est une technique et une science, une technique née d’une science mise au service d’une volonté : la volonté qu’ont les travailleurs de se libérer. »
- Pour le groupe de Sochaux, on peut citer:
- Sochaux, 11 Juin 1968 (1970),relatant la mort de deux ouvriers de l’usine Peugeot lors d’affrontement avec les CRS.
- Week-End A Sochaux (1971-1972)
- Septembre Chilien (1973)
- Avec Le Sang Des Autres (1975).